Ap 17 : “Perse, arrête ça”
Ap 17 : “Perse, arrête ça”

Ap 17 : “Perse, arrête ça”

Avertissement spécial : thématique du suicide

« Seth, c’est encore Perse. Perse Evans, tu sais, celle qui vit chez toi et qui n’a toujours pas de tes nouvelles malgré mes douze derniers appels. Ce serait bien que tu décroches. Rappelle-moi. S’il te plaît. » 

Dans la cuisine, Roberta s’affairait à préparer un déjeuner convenable. C’était assez drôle de la voir s’activer aux fourneaux, dans cette cuisine exiguë, perchée sur ses talons hauts, compressée dans sa robe prune, et de rater un poulet pourtant précuit. Cela avait un côté rassurant de voir qu’elle pouvait être désastreuse dans un domaine. À la différence qu’elle ne le reconnaîtrait jamais. Elle réussit même à brûler le comptoir du passe-plat, pestant sur le manque évident de place et l’aménagement discutable de la cuisine. Je posai en souriant un dessous-de-plat à côté du poulet calciné et promis de m’occuper des repas à l’avenir. 

L’enthousiasme qui avait émané de l’apparition tant espérée de mes pouvoirs s’essouffla vite. Au prix de nombreux essais, nous avions fini par déterminer que ma mutation en braise humaine ne servait à rien, à part réchauffer un mug de thé en un temps record.

Roberta me traduisit une partie des écrits du manuscrit. J’appris que les mots accolés à nos noms indiquait de quels pouvoirs nous avions hérité. Outre cette information capitale, le manuscrit regorgeait de conseils pratiques, mais était dépourvu d’informations sur ce qu’était un Gardien, un Passeur, ou sur la fameuse porte.

Chaque soir, de nouveaux spectres se mêlaient aux anciens, attendant que j’agisse, mais je ne savais pas comment, ce qui s’ajoutait à la frustration générale.

Nous nous concentrâmes donc sur la recherche de mes autres capacités latentes. Tout comme ma mère, je dus subir l’entraînement militaire de Roberta qui organisa mon emploi du temps.

Le réveil sonnait à six heures tapantes. Avant d’avoir le droit d’avaler un petit-déjeuner, je devais aller au bout d’une vidéo de fitness des années quatre-vingt. Elles duraient quarante longues minutes, et l’enthousiasme débordant de la coach me fatiguait plus que l’exercice lui-même.

Le reste de la matinée était consacré à la lecture de ses livres ésotériques. Je découvris la parapsychologie, l’astrologie, l’alchimie, la lithothérapie, la chromatothérapie, la sonothérapie, l’homéopathie, ainsi que tout un tas de trucs inutiles. Des dizaines de livres avaient pris d’assaut la grande table de la salle à manger, dans un monticule désordonné. Roberta avait insisté pour réinvestir cet espace.

Le premier jour, j’avais refusé.

Il était hors de question que je mette un pied dans la pièce où Matt et John étaient morts. Qu’elle ne puisse pas le comprendre m’avait mise hors de moi, et j’étais partie m’enfermer dans la chambre toute la journée avec ses maudits bouquins. Roberta dû prendre sur elle pour m’expliquer calmement en quoi cela était un mal nécessaire.

Selon elle, je devais « remonter à cheval » pour cesser de me pétrifier de la sorte dès que j’approchai de la salle à manger. Dans un sens, elle avait raison. Alors, le deuxième jour, j’avais accepté de m’asseoir à la grande table, non sans mal, le cœur battant à tout rompre, les larmes aux bords des yeux.

Roberta s’était débarrassée de la nappe, mais mes souvenirs n’étaient pas partis à la poubelle avec elle. Jamais ils ne le pourraient. Heureusement, chaque jour devint plus facile que le précédent. Ça va aller, me répétais-je en m’asseyant sur une des chaises.

Les après-midi étaient consacrés aux exercices pratiques. Mes connaissances en potions et tisanes impressionnèrent Roberta, bien qu’elle mît tout sur le compte de mes années passées à regarder ma mère travailler.

Pour ce qui était des autres « sortilèges », mon niveau était proche du désastreux. Mes décoctions se limitaient à mélanger du sel de table avec de la limaille de fer sans autre effet que celui de créer une poudre grisâtre. Je ne parvins pas à atteindre les effets attendus par Roberta, dont l’arête du nez arborait les marques rouges de ses pincements. D’ailleurs, qu’attendait-elle de ce mélange ?

Quant à mes boules d’énergie, à peine formées, elles éclataient comme des bulles de savon. Il n’y avait aucune amélioration de ce côté. En revanche, mes sorts de protection s’étaient mis à vibrer… avant de m’envoyer paître à l’autre bout de la pièce dans un ressac mystique.

Les chaises volèrent, s’écrasant contre les murs. Roberta soupira, levant les yeux au ciel.

« Recommence. Tu dois stabiliser ton énergie. Elle est beaucoup trop fluctuante, c’est pour ça que tu n’arrives à rien. Tu manques de concentration. »

Je me retournai, la bouche débordante de sang. Chaque essai drainait mon énergie jusqu’à la limite, et lorsque je tentai de la dépasser, je me mettais à vomir rouge.

« On ne dirait pas comme ça, dis-je en crachant un grumeau gros comme un noyau d’abricot, mais je fais pourtant du mieux que je peux. Si on changeait de méthode ?

— Il va falloir, en effet, opina-t-elle. Le temps presse. J’ai fait quelques petites recherches, et apparemment, lorsque l’une de nous obtient le pouvoir de déchiffrer le texte du manuscrit… celle-ci disparaît peu de temps après.

— Rassurant…

— En effet. Traite-moi d’hypocrite si tu le souhaites, ajouta-t-elle en essayant tant bien que mal de conserver son flegme, mais je n’ai pas envie de te perdre toi aussi. »

Elle éclaircit sa voix, et partit chercher le manuscrit. Cette déclaration d’affection lui avait coûté. Pendant ce temps, je descendis les dernières chaises encore en état au sous-sol. J’étais, littéralement, en train de sauver les meubles.

Le plus dur était de créer l’étincelle de base de l’énergie, mais ça commençait à venir. Sur les conseils de mes ancêtres, je frottai mes mains l’une contre l’autre en cercles pour former de l’électricité statique, la base de cette énergie.

Enfin, après plusieurs essais, une lueur cristalline entourée d’une aura fibreuse apparut entre mes mains. C’était magnifique. Aucun mot ne pouvait décrire toute la beauté et la puissance qui s’échappait de ce globe luminescent. La sphère se mit à palpiter. Ma respiration s’accéléra. La boule ne cessait de se déformer jusqu’à reprendre une forme parfaitement sphérique dans laquelle se mêlaient des fibres immaculées.

« Reste concentrée. Ne te laisse aller à tes émotions, domine-les », m’encouragea Roberta en reculant toutefois jusqu’à la cuisine.

J’avais du mal à réaliser ce que je venais de créer. Entre mes mains brillait une lumière qui pulsait comme une étoile. Subjuguée, j’écartai les mains. La lumière s’élargit. Je n’y comprenais pas grand-chose, mais je ressentais cette énergie comme une extension de mon propre corps. Une fois certaine que celle-ci n’exploserait pas, Roberta se pencha au-dessus de mon épaule pour la contempler.

« Voilà qui est mieux. »

Un sourire se dessina sur son visage et je ne pus m’empêcher de me sentir fière.

J’aurais dû arrêter l’exercice là, mais je me pensais capable d’aller encore plus loin. Je voulais augmenter sa taille, et limiter les effusions de fibres sur sa surface. Je la voulais parfaite aux yeux de Roberta. J’écartai alors les bras pour lui donner plus de place. Seulement, il y avait un point noir en son centre, qui grossissait en même temps que la sphère. Je n’y avais pas fait attention, trop occupée à me congratuler. Tel un cœur obscur, il se mit à gonfler à chaque nouveau battement.

« Perse, arrête ça. »

Mais je n’arrivais pas à la rétracter. Je stressais, et cela ne m’aidait pas à garder mon flot d’énergie stable. Sans compter que j’avais peur que ce truc nous pète à la figure. Le noir était en train de prendre possession de ma sphère d’énergie.

« Arrête ça tout de suite », dit-elle d’une voix fébrile.

C’est alors que l’obscurité chercha à me contaminer. Elle ruissela hors de la sphère, coula sur mes doigts, et se répandit le long de mes bras jusqu’à les rendre complètement noirs. La mèche blonde qui pendait devant mes yeux devint blanche, et ma sphère fut engloutie par ces ténèbres.

Une main surgit de ce néant et m’agrippa au cou.

 Je ne pouvais plus respirer. Un voile noir tombait sur mes yeux. Mes oreilles bourdonnaient, brouillant tout autour de moi. Dans un mélange confus de cris et de rires sortis tout droit de l’Enfer, j’entrevis Roberta tenter de me libérer de ces ongles qui entaillaient ma chair. Elle tirait sur ce bras dont la chair purulente suintait et se détachait par plaques.

Une odeur fétide exhalait de la chose, empuantant l’air jusqu’à me faire vomir malgré la pression qu’elle exerçait contre ma gorge. Les rires se firent plus oppressants encore lorsque Roberta réussit à me délivrer, pour se faire saisir à ma place. L’obscurité pénétra sa chair, grouillant à travers ses veines. Le noir s’infusa sur son cou et un liquide noir s’échappa de ses lèvres. Roberta hurla de douleur et lutta de plus belle contre cette main qui venait de lui inoculer un fléau fulgurant. Ses mains volaient dans tous les sens, dans l’espoir de se dégager de cette emprise.

Dans la bataille, je fus projetée en arrière. Je me retins à la porte, mais glissai et dégringolai dans les escaliers du sous-sol resté ouvert. La porte claqua. Roberta hurla à nouveau. Je grimpai les marches quatre à quatre, tambourinant et poussant sur la porte comme une forcenée. J’étais bloquée. Mes poings saignèrent à force de m’acharner sur le bois. Je descendis de deux marches afin de prendre de l’élan pour défoncer la porte, quand j’entendis des pas venir dans ma direction.

« Roberta ! Roberta, je suis là, je suis enfermée dans le sous-sol ! »

Les pas s’arrêtèrent devant la porte. Ce n’était pas ceux de Roberta. Je retins mon souffle, les yeux rivés sur l’ombre qui défilait dans l’interstice entre la porte et le sol. Une respiration lourde et sifflante s’éleva de l’autre côté, puis un rire éclata. Je fis un pas en arrière, oubliant les marches.

La maison était silencieuse. Plus aucun bruit de pas. Plus aucun indice d’une quelconque présence humaine depuis des heures… ou des jours ? J’avais perdu la notion du temps. Je savais que je m’étais brisé quelques côtes dans la chute, j’avais du mal à respirer. Je m’étais cognée aussi. La tête me tournait quand je n’avais pas cette impression de me faire pilonner le cerveau.

Affalée sur les dernières marches des escaliers, j’étais épuisée. J’avais essayé maintes fois de défoncer la porte ou de casser les carreaux des fenêtres, sans succès. J’avais appelé à l’aide jusqu’à en perdre la voix. Ce sous-sol était un vrai bunker, et je n’avais plus assez de force. J’étais prisonnière. Seule, ou presque.

« Miaou ? »

Le chat gris se fit un chemin à travers l’herbe haute du jardin, et s’assit devant une des fenêtres du sous-sol.

« Tiens, merci de venir me visiter, c’est sympa », dis-je de ma voix rauque.

La tête posée sur la rambarde, je le regardais renifler chaque fenêtre. 

« Inutile, chat, il n’y a aucun passage. J’ai déjà tout testé, soupirai-je. C’est la merde. Je ne sais plus où j’en suis. Si, à un moment, j’avais eu le sentiment de reprendre enfin le contrôle de ma vie, tout s’est envolé. »

Je me levai péniblement jusqu’au grand évier de pierre pour boire un peu. J’en profitai pour nettoyer le sang séché sur mon front, et mouillai ma nuque et mon visage, espérant que cela m’aide à m’éclaircir les idées. J’avais du mal à réfléchir correctement. Tout était flou autour de moi. Chancelante, je retournai m’asseoir dans l’ombre de la première marche. La lumière aggravait mes migraines.

« J’ai l’impression d’être ici depuis des jours. Ou alors ce sont les heures qui se sont allongées, j’en sais rien. J’ai peur de m’endormir, chat. Mais je vais finir par m’endormir, et cette fois, je ne me réveillerai pas. Je vais m’endormir et il sera là. Je suis sûre qu’il m’attend déjà. Il a tout planifié. Avant, tout était si simple. Je ne dis pas qu’être entourée de spectres est de tout repos, mais je ne risquais rien. »

Les prunelles vertes du chat me fixaient.

« Pourquoi est-ce que je m’embête à te mentir ?

Miaou ?

— La vérité, commençai-je en soupirant, c’est que mes capacités n’ont jamais été sans risques. Mon père est mort à cause de mon don. Non. Il est mort à cause de moi. Tu veux connaître cette histoire, chat ? Je vais te la raconter. Après, je m’endormirais et je pourrais ne plus jamais y repenser. »

Je posai ma tête contre la rambarde de l’escalier et fermai les yeux un instant.

« Mes parents travaillaient souvent tard, donc j’avais une nounou qui venait me chercher après l’école. Un jour, elle est passée me prendre après une longue période d’absence. Mes parents m’avaient seulement dit qu’elle était partie. Ils n’avaient pas précisé . Quand je l’ai revue devant la grille de mon école, sa main tendue vers moi, comme avant, je n’ai pas réfléchis. Je l’ai suivie. »

Je tentai de me redresser, de détendre mes jambes et me mettre dans une position un peu plus confortable sur ces marches de bois. Ma migraine se relança au premier mouvement.

« Bref. Ce jour-là, mon père devait venir me chercher. Il ne pouvait pas voir les fantômes. Il n’a pas vu la nounou avec moi. Tout ce qu’il a vu, c’est sa fille de six ans traverser toute seule la route. Il a couru vers moi et une voiture l’a percuté. Il est mort sur le coup. Si je l’avais pas suivie, rien de tout ça ne serait arrivé. Mon père serait encore en vie…

Miaou…

Si seulement je l’avais pas suivie… »

Le chat pencha sa tête de côté. Ses grands yeux vert sauge, si expressifs, donnèrent à mon cœur cet élan qui m’avait manqué pour pleurer à nouveau.

« Je suis tellement fatiguée, chat, articulai-je à travers mes larmes. Ma tête va exploser. Je sens mes yeux pousser pour sortir. Est qu’on peut avoir les globes oculaires qui se délogent d’eux-mêmes de leurs orbites ? Ce serait sale. Aaaah je sais plus où j’en suis ! »

Mes tempes pulsaient. Je fermai les yeux, tentant de rester calme et de contrôler cette envie de vomir qui s’invitait avec les relents migraineux.

« Roberta a raison. J’ai perdu toute combativité. Je suis pas comme ça, normalement, continuai-je en séchant mes larmes sur le revers de ma manche, mais là je dois avouer que je suis à bout de force. Mon monde s’est écroulé, brique après brique. Mon père. Matt. John. Ma mère à l’hôpital psychiatrique. Quant à ma grand-mère… »

Je levai les yeux vers les escaliers, tendant l’oreille en quête d’un bruit de pas, malgré le sifflement qui me perçait les tympans par vague. Rien. Aucun signe de vie à l’étage. 

« Je sais pas ce que t’en penses, chat, mais je crois que c’est officiel, je suis toute seule. Fais chier, soupirai-je. Si je survis et sors de ce sous-sol, je vais finir en foyer. En fait, non, je ne suis pas toute seule, j’ai mes amies. Sauf qu’elles ne savent rien de mon don. Je me vois mal leur dire “ Eh, au fait, je suis une sorcière ! Je parle aux morts, je peux réchauffer un mug et faire sortir des monstres d’une boule qui brille ! ” Elles me traiteraient de folle, et ne me parleraient plus jamais. Sauf Sasha, pensai-je soudainement. Mais peut-être que je suis folle, et que tout ceci se passe juste dans ma tête, t’en penses quoi ? Tu crois que je suis folle ?

Miaou.

— En même temps, je suis en train de causer avec un chat pelé et à moitié crevé.

Miaou ! s’insurgea-t-il.

— Pardon. T’es moche, mais c’est pas de ta faute. »

Sa queue fouetta la vitre. J’avais l’impression qu’il comprenait tout ce que je racontais. J’étais folle.

« Et pourtant… »

Frottant mes mains, je fis apparaître à nouveau une bille de lumière cristalline. Dans ma paume, elle était si belle. Si réelle.

« Encore une fois, j’ai tout gâché à pas réfléchir. »

La lueur prit rapidement la forme d’une sphère. Le point noir se forma en son centre et je refermai ma main, mouchant sa lumière. Si seulement j’avais su faire ça quand Roberta me l’avait demandé…

Soudain, il y eut un bourdonnement étouffé, une vibration dans ma paume. J’ouvris ma main, libérant une mouche. Un insecte nécrophage aux ordres de Belzebuth si j’en croyais les livres de Roberta.

« T’es en avance. Je suis pas encore morte, Ducon. »

L’insecte se mit à voleter autour de moi, avant de partir à l’aventure du sous-sol. Il se dirigea vers la petite fenêtre et se heurta contre la vitre. Le chat feula devant l’apparition de l’insecte, qui se dépêcha de revenir auprès de moi. Il se posa sur ma main et secoua ses ailes. Je l’observai, le cœur au bord des lèvres.

« C’est toi, n’est-ce pas ? Le Seigneur des mouches… Pourquoi tu ne dis rien ? »

La mouche passa entre mes doigts, marchant de ses fines pattes jusqu’au bout de mes ongles. Je plissai les yeux pour pallier ma vision trouble. Le vert bleuté de son corps brillait de mille feux. Cette effusion de couleur relança ma migraine. Elle se mit à nettoyer ses ailes.

« … Voilà que je parle à une mouche maintenant. »

Ma tête allait exploser. Mon estomac s’entêta à vouloir vider ce qui l’était déjà, me crispant le corps pour deux pauvres giclées de bile. La contraction appuya sur mes côtes. J’étouffai un hurlement. Respirer était douloureux, mais hurler était insoutenable.

Je relevai péniblement la tête. Des taches noires pétillaient dans l’air. Je m’accrochai à la rambarde, puis perdis de vue la mouche. Elle avait quitté ma main. Je me mis à paniquer, recherchant parmi les tâches celle qui avait des ailes polychromes. 

« T’es passé où, ducon ? »

C’est alors la mouche fonça sur moi et s’engouffra dans mon oreille. Je me redressai d’un bond, me débattant pour la déloger. La vibration de ses ailes résonna avec force dans ma tête, infestant mon cerveau. C’était comme si j’étais enfermée dans le tambour d’un sèche-linge lancé à plein régime. Cet enfoiré était entré en moi !

Dehors, le chat s’agitait, miaulait et feulait. Ses griffes crissaient contre les carreaux de verre, ajoutant un bruit strident au chaos. Dans ma tête, le bourdonnement s’amplifia, puis se fit si intense qu’il camouflait ses miaulements apocalyptiques ainsi que mes hurlements. Je me débattis, me donnant des coups en pleine figure pour l’inciter à sortir.

La vibration descendit. Je sentis vibrer derrière mes yeux, au fond de ma gorge, puis dans mon estomac. Je vomis une nouvelle giclée de bile ensanglantée. Chancelante, je heurtai le mur sous la fenêtre. Je m’appuyai contre lui, pour me maintenir debout. Il fallait qu’il sorte de moi !

Je touchai mon ventre, à la recherche de l’insecte qui se mouvait sous ma peau. Je soulevai mon tee-shirt, parcourus des yeux ma poitrine, mes épaules, quand enfin, je le vis. Son petit corps répugnant grouillait dans mes veines, descendant de mon épaule jusqu’à mon poignet.

D’un geste vif, j’enserrai mon poignet à la manière d’un garrot pour l’empêcher d’aller plus loin. La mouche vibrait, prise au piège.

« Je te tiens ! »

Sur l’établi de John était posée une vieille mallette médicale. Paniquée mais résolue, je la balançai par terre, déversant son contenu sur le sol poussiéreux. Plusieurs pinces, des ciseaux et un scalpel rouillé en sortirent. Parfait ! J’allais crever cet enfoiré, j’allais le trancher en deux !

Sans réfléchir, je pris le scalpel et m’ouvris le poignet, enfonçant la lame jusqu’à atteindre la veine où il se planquait. C’est alors qu’un rire infâme s’éleva. La mouche sortit de la plaie béante en voletant, puis disparut au milieu des taches noires qui embrumaient à nouveau ma vision. Je ne comprenais pas.

Dehors, le chat miaulait à s’en faire péter les cordes vocales. Je tentai de faire un pas, mais mes forces me quittèrent et je tombai, le poignet ouvert dans toute sa longueur. J’étais en train de me vider de mon sang. C’est là que je compris que j’étais tombée dans son piège.

« Et merde. »

Un voile noir tomba sur mes yeux. Je me sentais partir. C’était fini. Les miaulements s’interrompirent et une voix d’homme m’apostropha depuis le jardin : « Eh ! Je t’interdis de crever, gamine ! »