Ap 26 : “itsi-bitsi-tiny Loki”
Ap 26 : “itsi-bitsi-tiny Loki”

Ap 26 : “itsi-bitsi-tiny Loki”

J’arrivai à la maison avec Azazel un peu avant midi. Seth nous avait déposés devant le portail. Il était déterminé comme jamais, j’étais plus défoncée que jamais, quant à Azazel… je ne savais pas du tout quoi penser. Égal à lui-même, je suppose ?

Il secoua sa petite patte touffue pour dire au revoir à Seth, tout en marmonnant qu’il était l’humain le plus con qui lui ait été donné de rencontrer.

« Elles arrivent à quelle heure tes gonzesses ? »

Je levai les yeux au ciel. Il rentra, mais je restai sur le perron pour réaliser les exercices de respiration que m’avait imposé le docteur Hussain. Tousser, inspirer et expirer longuement, pour garder ouverts les sacs d’air des poumons. C’était une bonne excuse pour être seule quelques minutes et réfléchir.

Je fermai les yeux. La tête me tournait. Les informations d’Azazel se brouillaient dans le trop-plein général de mon cerveau qui ne parvenait plus à suivre. Je manquais de sommeil et j’abusais peut-être un petit trop des antalgiques, mais cela avait pour avantage de me permettre de continuer. Sans ça, sans cette déformation vaseuse de la réalité, je pense que j’aurais craqué et rejoins ma mère dans son asile. De mon plein grès.

J’ouvris les yeux. Des tâches noires voletaient. Il fallait que je mange quelque chose. Je n’avais pas particulièrement faim, mais ces vertiges demandaient de la nourriture pour se calmer. J’avais pris trop de cachets pour un estomac aussi vide.

Azazel leva une oreille en me voyant pénétrer dans la cuisine. En rangeant les dernières courses que j’avais laissées en vrac sur le comptoir, je pestai. La boite de haricots avait passé la date limite de quatre mois. Le chat m’observa cuisiner un steak haché et faire sauter des pommes de terre. Devant son regard insistant, j’ajoutai un steak dans la poêle. Il se mit à ronronner. C’était déstabilisant de le voir agir de la sorte, en sachant qu’un monstre bleu de quatre mètres se dissimulait sous cette fourrure.

« Tu veux boire quelque chose avec ? Un verre de lait, peut-être ? »

Il me lorgna de son regard le plus dubitatif. C’était fou à quel point il pouvait être expressif. Je posai l’assiette à côté de lui.

« Je sais que t’es encore défoncée, mais tu te rappelles que je ne suis pas vraiment un chat, n’est-ce pas ?

— C’était pour plaisanter, grommelai-je, la tête enfoncée dans le réfrigérateur.

— Tu sais quoi, à la réflexion, je prendrais bien un verre de lait de poule, j’ai vu une bouteille de whisky traîner au fond d’un placard. »

D’un mouvement machinal, je tentai d’attraper la brique achetée la veille. Ma main n’agrippa que du vide. Je regardai sur l’étagère de la porte, mais rien. Il n’y avait pas de brique. Pourtant, j’étais sûre de l’y avoir rangée. J’ouvris et fermai le réfrigérateur à plusieurs reprises, sans comprendre.

« Y’a pas la lumière à tous les étages, chez toi… », commenta Azazel en mâchouillant son steak.

Après manger, je mis en route la cafetière avant d’aller prendre une douche. L’eau rougeâtre tourbillonnait autour du siphon. Mes cheveux collaient sur mes fesses. Je les démêlai, l’esprit bloqué sur l’eau qui s’écoulait.

À quoi ressemblerais-je en chien de l’Enfer ? À Sërb, mais en blond ? Je me transformerais peut-être en labrador, ou en golden retriever. Je peignais mes longueurs avec application. Un lévrier afghan ? Non. C’était absurde. Les cheveux de Sërb étaient presque aussi longs que les miens, et cela n’avait aucune incidence sur la longueur de son pelage.

Le miroir embué reflétait une image que je ne reconnaissais pas. Mes cernes reposaient sur mes pommettes comme deux sacs mauves. Je relevai mes lèvres pour inspecter mes dents. Est-ce que j’aurais des crocs ?

La porte de la salle de bain grinça.

« Mais qu’est-ce que tu fous, gamine ? Ça fait une heure que t’es là-dedans. »

Le chat passa sa tête et me toisa de bas en haut. Il me fallut quelques secondes avant de réaliser. J’attrapai une serviette pour cacher mon corps nu en hurlant, avant de lui claquer la porte au nez.

« Putain, mais l’intimité, tu connais pas ? » grondai-je à travers la porte.

Je nouai mes cheveux et m’habillai en jogging et tee-shirt large avant de redescendre. Les placards étaient ouverts. Du café était renversé tout autour de la cafetière. Le chat, assis sur le comptoir avec une tasse, me tournait le dos et faisait semblant de ne pas m’avoir entendue. Je rangeai son bordel en maugréant, puis m’attelai à celui que j’avais laissé dans la salle à manger. Je fourrai le tout à la va-vite dans une caisse, avec les ingrédients ramenés de la boutique, que je glissai sous la petite table dans l’angle. Je terminai en rangeant les livres obscurs avec ceux du buffet en bas de l’escalier.

J’étais prête à recevoir les filles.

Elles arrivèrent à deux heures et quart précises. Dissimulée derrière le rideau, j’appréhendais leur venue. Pourvu qu’elles passent la barrière. Azazel, lui, se tenait sur le perron, à surveiller leur arrivée.

Je les entendis discuter dans la rue. Élise, de sa voix à la fois chantante et autoritaire, se retourna vers le groupe, une main sur le muret.

« Rappelez-vous, on n’en parle que si elle aborde le sujet en premier, d’accord ? Ça doit être tellement dur pour elle… On doit la soutenir.

— Lui remonter le moral et lui rappeler qu’on est toutes là pour elle. On sait, ne t’inquiète pas », continua Sasha en passant le portail.

Mon cœur se serra en les écoutant. Trop occupée à me concentrer sur moi et mes problèmes, je n’avais pas pensé qu’elles puissent s’inquiéter à ce point.

Lorsqu’elles furent toutes dans le jardin qui encadrait l’allée de la maison, à quelques mètres des escaliers, je retins mon souffle. Sasha et Élise grimpèrent la première marche sans s’apercevoir de rien. Je soufflai, et leur ouvris la porte avec soulagement.

Max s’arrêta un instant devant le tracé de sel. Elle toisa le chat en fronçant les sourcils. Je retins à nouveau mon souffle. Jade lui passa devant et se précipita pour câliner le chat. Je n’eus pas le temps de la prévenir. Elle fronça le nez, Azazel déjà étouffé entre ses bras.

« Peluche ! … wow… Il a besoin d’un bain », dit-elle d’un air dégoûté, sans pour autant le lâcher. 

Max souffla en même temps que moi. Puis elle prit une grande inspiration et posa un pied sur la première marche. Elle grimpa les escaliers d’un pas peu assuré. Peut-être qu’elle était allergique, ou qu’elle n’aimait pas les chats. Azazel avait un physique peu engageant.

Ce qui n’était pas le cas de Jade qui s’obstinait à le serrer contre elle en dépit de son odeur. Azazel baissa les oreilles et laissa retomber ses pattes, abandonnant l’idée de se débattre. Jade était la plus jeune et la plus enthousiaste du groupe. Leur visite s’annonçait longue pour lui. Je dus me retenir de sourire.

Les filles s’installèrent dans le salon, et Élise se dirigea naturellement vers la cuisine pour préparer du thé. Dans son langage, cela mettait les bases pour une conversation à cœur ouvert. Saveur bergamote.

Max sortit une boite en plastique du sac de Jade. Elle contenait un assortiment intéressant de cookies trop cuits, et d’autres, pas assez. Il y en avait aux pépites de chocolat, d’autres aux raisins, et j’en soupçonnais quelques-uns d’être tout bonnement immangeables. Je les remerciai, mais me gardai d’y toucher.

Jade s’installa aux pieds de Sasha, et s’adossa au canapé, le chat sur les jambes, à lui tirer sur les moustaches. Elle arborait une chevelure d’un vert profond, fraîchement teinte. Cela lui allait mieux que le bleu précédent. Contrairement à ses habitudes, Max ne s’assit pas à ses côtés, mais sur le canapé adjacent. Sous une frange rose coupée en biais, ses yeux faisaient des allers-retours suspicieux entre Azazel et moi.

« Bon, commença Élise en posant un plateau sur la table basse. Dis-nous tout. »

J’hésitai. Pendant un instant, j’eus un doute, et me demandai si elle savait ce qu’il se passait réellement. Rabattant ses cheveux en arrière, elle s’assit à côté de Sasha qui prit le relais sans attendre :

« Aucune nouvelle depuis deux semaines. Tu te doutes bien qu’on n’allait pas faire comme si de rien n’était, surtout qu’on a appris que tu sortais de l’hôpital. Alors. Comment tu te sens ?

— Je crois que je vais bien, répondis-je, soulagée de constater que cette conversation se contenterait d’aborder mes problèmes humains. Mieux, en tout cas.

— T’es sure ? T’as l’air de tenir à peine debout. Est-ce que t’es stone ? »

Azazel pouffa. Élise, qui s’apprêtait à se servir du thé, eut une hésitation.

« Un peu, ouais, repris-je vivement pour ramener l’attention sur moi. Je me suis fracturé des côtes en tombant dans les escaliers, je dois prendre des antidouleurs.

— … à qui joue les boustifailleurs avec les antidouleurs… ça pétille sur les papilles », se mit à chantonner Max.

Le chat dressa ses oreilles et toisa Max de ses pupilles dilatées. Jade écrasa sa main sur son crâne de peluche en fredonnant le même air que sa compagne. La queue d’Azazel commença à battre l’air d’agacement, mais Jade s’obstina à aplatir sa tête poilue d’un geste enthousiaste.

« Je suis désolée de vous avoir mises de côté, repris-je. J’avais besoin d’être un peu seule, pour encaisser… tout ça. Et juste après, l’accident bête. Tu sais ce qu’on dit…

— “ Sinon ce serait pas drôle ” ? sourit Sasha.

— Voilà.

— Si-sit, fit Max en tapotant le coussin à côté d’elle en guise d’invitation.

— Est-ce que… est-ce qu’on pourrait parler d’autre chose ? Ça me fait plaisir de vous voir. J’ai pas envie de repenser à… »

Je ne terminai pas ma phrase. Je n’en avais pas besoin. Sasha et Élise acquiescèrent en même temps.

« Oui, tu as raison. Parlons de ce que tu veux, de choses positives, comme…

— Les mecs ! s’exclama Sasha. Comme par exemple le fait que tu as tapé dans l’œil du mec le plus mystico-sensuello-skinny-bad-boy de la soirée. 

— Qui ? Le gars qui se faisait harceler sexuellement par la blonde ? 

— Nola. Mais c’est ton tien à toi maintenant. Ton itsi-bitsi-tiny Loki », dit Max.

Élise porta la tasse à sa bouche, évitant soigneusement d’entrer dans ce sujet. J’avais oublié qu’elle connaissait Nola avant, et qu’elles ne se parlaient plus depuis longtemps.

« Il s’est fait la malle à la soirée, continua ma voisine en souriant. Il a changé d’aéroport et a embarqué dans ton avion. Sans ticket retour, direct dans la soute.

— … Hein ?

Ce que Max essaie de dire, je crois, c’est qu’il l’a rembarrée, rit Sasha. Et pas qu’un peu ! Dès que tu t’es endormie devant le feu, il s’est levé pour te rejoindre, abandonnant Nola sur place comme si elle n’existait pas. Jackson l’a aidé à te coucher dans ta tente.

— Ça ne veut pas dire que…

— Persy, ce gars a préféré jouer les chevaliers servant plutôt qu’à touche-pipi avec elle. Oh, la tête qu’elle a faite quand il t’a portée dans ses bras, ça valait de l’or. Elle l’a pas volé ! ajouta-t-elle en jetant un coup d’œil à Élise. Il est parti avec le reste des gars peu après, et elle a battu en retraite en boudant. Je crois qu’elle te déteste maintenant.

— Je n’en ai aucun souvenir…

— C’est dommage parce que c’était une chouette soirée, fit Jade en tirant les oreilles d’Azazel. 

— Moi je dis que c’est surtout dommage que tu te sois endormie alors que tu aurais pu passer une nuit torride avec le squelettique, mais charismatique dieu asgardien…

— … à vous faire des bisous ! s’écria Jade en embrassant le chat devant nos têtes écœurées.

— Et ton nom sera Sigyn, car il est comme toi, prophétisa Max en me donnant un coup de coude entendu comme si j’avais la moindre idée de ce qu’elle racontait encore.

— Je ne pense vraiment pas qu’il… 

— Non, mais toi tu ne vois jamais rien, même quand c’est pile devant ton nez, me coupa Sasha en rigolant. Même avant que tu ne t’endormes, Loki a passé la soirée à te mater, et il s’est empressé de voir si tu allais bien alors que tu tanguais autant qu’un irlandais qui sort du pub. Tu ne te souviens au moins de votre petite balade dans les bois, quand même ? »

Comment oublier… Il avait fait fuir les spectres sans le savoir.

« Je trouve que vous iriez bien ensemble. Je l’annonce : le couple Maigrichon et Gros-cul sera le couple de l’année !

— … J’ai pas un gros cul, grommelai-je.

— Merci de valider ma prédiction, répondit Sasha avec un clin d’œil malicieux. Et si, t’as un gros cul. Sa largeur dépasse celle de tes épaules.

Eh ! 

— Et puis ma chérie n’a pas de seins ! sourit démesurément Jade. Et puis Sasha a de la moustache ! 

— Merci de la précision, grinça la concernée. De toute façon, on le sait, il n’y a que notre Lili qui est parfaite.

— D’ailleurs ! Élise, l’interpellai-je pour changer de sujet. Comment ça avance avec Gabriel ?

— C’est pas gagné, avoua-t-elle. Je suis sûre qu’il m’aime bien, mais en dehors de me tenir la main, il ne se passe rien de plus, et c’est pas faute d’avoir tenté plusieurs approches.

— Il sent la pomme, tu devrais laisser tomber, trancha Max en claquant une bulle de chewing-gum.

— Je vais me faire l’avocat du diable, pour une fois, continuai-je. Comme je lui ai parlé récemment parce qu’il m’a aidée à porter mes courses, je lui donne un point pour sa gentillesse. Il m’a raconté un peu son histoire familiale, c’est un truc de dingue ! Il était vraiment enfermé avec des fanatiques religieux. Ça doit pas être simple pour lui de se retrouver propulsé dans le monde moderne. Donne-lui du temps, c’est tout.

— Persy qui plaide pour le blondinet qu’elle ne pouvait pas encadrer, alors celle-là… souffla Sasha, les yeux ronds derrière ses lunettes dorées.

— Il est dans ton lycée, tu pourrais pas m’aider et prêcher pour ma paroisse ? implora Élise. Il est tellement adorable, je vous jure les filles, c’est pas la peine de ricaner comme des harpies, ce mec est un ange.

— Ah, Sainte Élise. Elle recueille et prend soin des gars les plus paumés tant qu’ils ressemblent à des gravures de mode, se moqua Sasha. Le dernier sortait d’où, déjà ? Ah oui, de cure de désintox. Mais, j’avoue, il avait des abdos aussi proéminents que des prises d’escalades. Normal que t’aies eu envie de lui grimper dessus. » 

Élise afficha une attendrissante moue boudeuse et couina comme un chiot implorant. Sasha éclata de rire. Max se remit à chantonner des phrases insensées en se tournant sur le canapé jusqu’à avoir la tête en bas et les pieds au-dessus du dossier. Le rire qui sortit alors d’elle, dans cette position improbable, nous entraîna dans un fou rire général.

Ça faisait du bien de rire. Malgré mes côtes qui se réveillaient, j’étais reconnaissante pour ce moment. Malheureusement, il ne pouvait durer.

Rire provoqua une contraction qui me fit vomir un flot de bile teinté de sang sur le parquet. Les rires cessèrent. Max se redressa et retint ma natte de tremper dans la mare rougeâtre. Élise et Sasha se dressèrent, affolées, mais le reflux s’était déjà calmé. Je m’excusai et courus jusqu’à la salle de bain pour me nettoyer. Cet interlude sanglant avait eu le mérite de me remettre les idées en place. Je m’observai dans le miroir. Mes pupilles étaient encore dilatées, mais l’effet des cachets s’était estompé.

Alors, comme à chaque fois que mon estomac faisait des siennes, je retirai mon tee-shirt et le balançai dans la poubelle. Essayer d’en faire partir les tâches était devenu un tonneau des Danaïdes. Je n’essayais même plus. Je me lavai sommairement le visage et me changeai avant de redescendre.

Évidemment, au salon, un vent de panique avait soufflé.

Je les rassurai du mieux que je pus, expliquant que c’était parfaitement normal après ma chute dans les escaliers. Mon estomac avait été déchiré, mes côtes étaient en train de se reconstruire, et tout reviendrait à la normale d’ici quelques semaines. Je devais juste me reposer.

Max murmura à l’oreille d’Élise, et celle-ci initia un repli stratégique, « pour mon bien ». Sasha attendit que les autres soient déjà dans le jardin pour me prendre dans ses bras.

« Appelle-moi s’il te plaît, je m’inquiète. »

En passant la porte, elle me sembla préoccupée. Elle se retourna plusieurs fois en fronçant les sourcils. Je les saluais depuis le perron, heureuse de leur visite. Les voir et reprendre, le temps d’un instant, une vie normale m’avait remonté le moral.

Azazel grimpa sur le dossier du canapé.

« Verdict ? demandai-je sans quitter des yeux mes amies.

Mmh. Elles sont humaines. Pas d’infection de démon en vue. Mais cette fille avec les cheveux roses… je ne sais pas trop quoi en penser. Elle m’a fait une impression étrange.

— Max fait cet effet à tout le monde. Elle et Jade sont perchées. Sauf que Jade, elle, n’a que quinze ans.

Mmh, peut-être. »

Lorsque la tête bouclée de Sasha disparut à l’angle de la rue, je refermai la porte. Azazel se laissa glisser jusqu’au coussin, et s’allongea dans une position lascive particulièrement déconcertante. Il allongea les pattes arrières et les croisa, puis posa son menton sur sa patte repliée en esquissant un sourire carnassier.

« Et sinon, c’est qui, ce Loki ? » s’enquit-il d’un air moqueur.

Je détournai la tête afin qu’il ne me voit pas rougir.  

« Rien qui te concerne. »

La nuit était déjà bien avancée, pourtant, je ne dormais pas. Assise dans mon lit, le dos confortablement appuyé sur une colonne d’oreillers moelleux, mes yeux étaient grands ouverts. Azazel procédait à une toilette méthodique. Je ne pouvais m’empêcher de le fixer avec un certain dégoût, car cet imposteur pelucheux était tout sauf un chat.

« Quoi ?

— Rien. »

Pourquoi restait-il là, à agir en félin, comme si de rien n’était ? Son comportement me laissait perplexe.

« QUOI ?

— Rien ! 

— Tu comptes me mater encore longtemps comme ça ? demanda-t-il, une patte en l’air.

— J’aimerais bien savoir ce que tu fiches sur mon plumard.

— Je suis bien là.

— … sur mon plumard.

— Oui, gamine, sur ton plumard. Il est confortable ton plumard. Hier ça ne t’a pas dérangé que je sois dans ton plumard, fit-il en dévoilant ses crocs dans un rictus. La chambre du fond pue la vieille bique, et puis de toute façon, c’est le meilleur moyen de garder un œil sur toi, alors pète un coup et dors. »

Il se roula en boule contre mes pieds et prit une grande inspiration. Comment pouvait-il tenir dans ce costume ? N’était-il pas à l’étroit à l’intérieur ?

« Pourquoi un chat ?

— Encore un pourquoi, grommela-t-il dans sa fourrure. Une idée de Baël à la base, ça a même lancé une mode, en Égypte notamment. Grande époque. Dans votre monde, y’a pas plus peinard qu’un chat. Nourri, logé, et tout ça à l’œil. La forme parfaite pour prendre des vacances. »

J’acquiesçai : son raisonnement se tenait. Je finis par m’enfoncer sous la couette, le poussant du pied par inadvertance. Il grogna, puis se mit à ronfler. Il n’était pas croyable… Je m’endormis en me demandant pourquoi Lucifer me l’avait envoyé sous cette forme.

La lumière de la clairière m’éblouit. Allongée dans l’herbe, je fulminai. Il fallait vraiment que ça s’arrête.