Ap 28 : « Tu ne dois pas invoquer le diable, c’est mal ! »
Ap 28 : « Tu ne dois pas invoquer le diable, c’est mal ! »

Ap 28 : « Tu ne dois pas invoquer le diable, c’est mal ! »

Mardi matin, armée de ma tisane, je me sentais plus vaillante que jamais. Ni les démons ni les spectres ne pouvaient plus me détecter. Je fixai mes ongles. Avant la fin du premier cours, leur couleur se dissipa. Je sortis mon thermos et repris une gorgée. Ils redevinrent aussi noirs que du charbon. Un coup d’œil à ma montre m’apprit que son effet durait deux heures. C’était peu, mais j’étais toutefois ravie. Ça fonctionnait. J’étais en sécurité, invisible.

Je relevai la tête vers le tableau en souriant. L’une des filles populaires me regarda comme si j’étais demeurée. Je cessai de sourire dans le vide, et repris ma contemplation ongulaire. Cet effet esthétique allait être extrêmement pratique.

Gabriel vint me trouver dans le couloir des casiers pour m’inviter à déjeuner ensemble. Il portait son habituelle chemise blanche cintrée, trop guindée pour un gars de notre âge. Il avait cependant ouvert un bouton, dans une tentative maladroite de paraître cool.

Je ricanai en me disant qu’il avait dû se ronger les sangs en se demandant si ce bouton en moins ne serait pas trop provocant. Lorsqu’il se baissa pour se mettre à ma hauteur, sa chemise m’offrit une vue plongeante sur son torse massif. Je reculai.

« Alors ? »

Sa bouche se tordit pour se retenir de sourire tandis qu’il s’emmêlait les doigts en attendant ma réponse. Je rangeai mes livres, détournant les yeux un instant de ce torse qui m’avait perturbée plus que je ne l’aurais cru. En me retournant vers lui, je le vis successivement sourire, se raviser, et sourire à nouveau. C’était ridicule. Puis je repensai à ce que Nola lui avait dit.

 « OK pour déjeuner. Et tu peux sourire, je ne te casserai pas les dents pour ça », me moquai-je.

Il baissa la tête et rougit, mais parut soulagé. Il passa une main dans ses cheveux, et une large mèche retomba sur son front. Il releva un sourcil avec un sourire en coin. C’était inattendu. Si je n’avais pas su qu’il avait grandi au milieu des culs bénis, j’aurais pris ça pour une tentative de drague clichée, tirée de ces séries pour ados. Sauf qu’il n’avait jamais dû en regarder une seule.

« Je vais nous garder une place alors », minauda-t-il en me quittant. 

Son changement d’attitude était étrange et cela me laissa perplexe. Je le suivis des yeux discrètement. Une porte de casier que l’on claque me fit sursauter. Quelques mètres plus loin, le maigrichon refermait son cadenas, visiblement énervé. Les lignes anguleuses de son visage se resserraient en pulsant le long de sa mâchoire. Il serrait les dents. Qu’est-ce qui lui prenait, tout à coup ?

Je retrouvai Gabriel au réfectoire, sur la table du fond, côté fenêtres. Lorsque je posai mon plateau en face de lui, il changea immédiatement de place, se rapprocha de moi, et se lança dans une conversation sur la météo. Je levai une main entre nous pour lui éviter de se rapprocher. Il parut surpris.

« Oui, il pleut, c’est formidable. Bref. Comment ça se passe avec Élise ? »

Son sourire se crispa, puis il reprit cette attitude très maîtrisée que je détestais. Faire copain-copain avec lui avait un objectif, celui d’aider mon amie. Si cela n’avait pas été pour elle, jamais je ne lui aurais adressé la parole. Elle méritait cet effort de ma part, plus que n’importe qui au monde.

Gabriel me répondit avec une pointe d’exaspération mal dissimulée dans la voix.

« Nous sommes amis. Comme je te l’ai dit, elle s’est montrée très patiente avec moi. Elle m’aide beaucoup à me faire de nouveaux amis. »

Il semblait ne pas comprendre où je voulais en venir. Je me frottai les paupières, réfléchissant à une autre approche, mais il m’empêcha de continuer sur ma lancée en enchaînant sur les films d’horreur que lui avait conseillés Sasha, sur les mangas de Jade, ainsi que les séries à la mode qu’il tentait de rattraper. Il me posa tellement de questions sur ce que je regardais, écoutais, lisais, et aimais, qu’il me fallut moins de cinq minutes pour regretter d’avoir consenti à ce déjeuner.

Je soupirai et répondis vaguement à ses questions. En quoi cela pouvait l’intéresser ce que j’aimais ? C’était à propos d’Élise qu’il aurait dû me poser ces questions. La sonnerie du retour en classe mit fin à mon calvaire. Me lier d’amitié avec lui s’avérait plus compliqué que prévu.

En sortant de mon dernier cours, j’avalai le restant de tisane pour sécuriser mon retour à la maison. Les doubles portes vitrées de l’entrée principale passées, je découvris la Jeep de Sasha garée en travers du parking. Celle-ci était accoudée à la fenêtre, à guetter. Les cheveux roux d’Élise brillaient à ses côtés. 

« Ça pour une surprise ! m’enthousiasmai-je en les rejoignant. Que me vaut cette visite en pleine semaine ?

— On est venue te chercher, ça te dit d’aller boire un café ? »

Sasha souriait. Élise, en revanche, semblait soucieuse. Elle ne m’accorda ni un mot ni un regard. Ce n’était pas dans ses habitudes d’être aussi silencieuse. Je grimpai à l’arrière, les informant que je ne pourrais rester très longtemps. Je prétextai une harassante soirée de lectures pour rattraper mon retard.

Nous allâmes au diner près du parc Shuswap, rendez-vous habituel lors des jours pluvieux. Élise ne desserra pas les lèvres jusqu’à ce que le serveur ait pris et déposé notre commande sur la table.

« On s’inquiète pour toi. Depuis dimanche, je n’en dors plus, dit-elle d’une petite voix.

— Je vais bien, je t’assure. Des côtes cassées, c’est long à se remettre. Mon estomac va mieux, j’ai arrêté de cracher du sang et…

— Je ne te parle pas de ça, lâcha-t-elle brusquement.

— Persy, on a vu les livres de magie noire, précisa Sasha en remontant ses lunettes sur son nez. Tu sais que c’est mon délire, j’adore ce genre de trucs, mais là c’était pas des livres qu’on trouve en librairie pour faire peur aux gamins en mal de sensation forte. J’en ai lu certains. Y’a des sortilèges, des invocations très détaillées, c’est du sérieux. Il faut pas plaisanter avec ça.

— On s’inquiète qu’avec tout ce qu’il t’est arrivé, tu… comment dire…

— … que tu aies pété un fusible et que tu te sois lancée dans la nécromancie pour ramener Matthew à la vie. Quoi ? fit-elle à Élise qui lui avait jeté un regard noir. C’est pas ça qu’on avait dit ?

— On s’inquiète que tu te réfugies dans un monde irréel et nocif pour ton bien-être mental.

— Ah oui, voilà. C’était peut-être plus    ça qu’on avait dit », rectifia Sasha.

Je ne m’étais pas attendue à ça. Je me mordis la lèvre, regrettant de ne pas avoir rangé les livres de Roberta à l’abri des regards. Je me sentais coincée. Si seulement je pouvais leur raconter la vérité… Mais même si elles me croyaient, il valait mieux qu’elles ne sachent rien.

Élise fronçait ses sourcils avec une inquiétude qui me tordait le cœur. J’aurais dû rester sur mon idée de m’éloigner d’elles. Peu importait leur sollicitude, je devais les protéger de la vague de merde qui menaçait de m’engloutir.

Sasha se lança dans une tirade très élaborée sur les risques de ce genre de pratique, pendant qu’Élise ponctuait de recommandations sur l’importance de consulter un psychologue pour surmonter mon traumatisme. Elles avaient travaillé leur sujet en amont.

Je les laissai parler, les mains croisées sur la table, un œil constamment en alerte sur mes ongles. Ils éclaircissaient à chaque seconde. Lorsque ma peau apparut en transparence sous le gris, mon pied se mit à trembler d’impatience. Il fallait que je rentre me mettre à l’abri du sceau, et vite. J’essayai de couper court, mais Élise insistait. Elle refusait de lâcher. La connaissant, il ne me restait qu’une solution : la piquer au vif.

« C’est bon, vous avez fini votre petite intervention ? les coupai-je en me levant. Parce qu’il faut vraiment que je rentre.

— S’il te plaît, Perse, ne le prends pas comme ça. C’est important.

— Pour qui ? Pour moi ou pour toi ? observai-je du même ton cinglant que Lucifer m’avait servi. Désolé, la vie c’est pas un kiwi et j’ai pas de temps à perdre à écouter tes conneries.

— … Excuse-moi ? »

Le visage d’Élise se tordit. Un spasme nerveux agita sa paupière qui se mit à cligner frénétiquement. Je réprimai un frisson et quittai la table. J’avais cherché à la vexer, pas à la mettre en rogne. La clochette retentit à deux reprises. Les filles m’emboîtaient le pas malgré la pluie qui tombait dru.

« Perse, reviens ici, grinça Élise. 

— Persy, tu ne dois pas invoquer le diable, c’est mal !

— Sasha !

— Mais quoi ? »

Les filles me suivaient. J’accélérai l’allure pour arriver au plus vite derrière la barrière. La maison n’était qu’à deux pâtés. J’entendais Sasha maugréer que la voiture de sa mère était encore sur le parking et qu’il pleuvait comme vache qui pisse. Les talons d’Élise claquaient bruyamment à chaque pas pour exprimer son irritation.

Mes ongles blanchissaient à vue d’œil. Dans ma précipitation, je heurtai quelque chose qui gémit sous le choc. L’enfant du voisin tomba par terre. Bravo, Persy.

Les filles en profitèrent pour me rattraper, pendant que j’aidais le gosse à se relever. Élise me gratifia de son plus beau regard réprobateur, s’ajoutant à sa colère.

« Tu n’as rien ? demanda-t-elle au gamin en époussetant sa veste d’écolier. Excuse mon amie, elle ne fait plus attention à ce qui l’entoure en ce moment. »

L’enfant leva les yeux sur moi, et m’offrit son plus large sourire avant d’agripper ma main. Je la retirai sèchement. Je n’avais pas le temps de jouer les nounous du voisinage, et le dernier gamin que j’avais croisé avait explosé. Autant rester à bonne distance cette fois.

« Je suis pressée.

— Persy, voyons », me rabroua gentiment Sasha.

Le gosse était debout, il n’avait rien, donc je n’avais pas besoin de m’attarder sur son cas. Un coup d’œil à mes ongles : ils étaient redevenus blancs. Fais chier. J’aurais déjà dû être à la maison.

« Il faut vraiment que je rentre. Maintenant », insistai-je lourdement.

Je repris le chemin d’un pas rapide et Sasha se remit à grommeler. Je me retournai pour leur dire qu’elles n’avaient pas à s’inquiéter, mais Élise lançait des éclairs avec ses yeux. Ses longs cheveux roux trempés par la pluie battante lui collaient au visage, ce qui lui donnait un air plus féroce encore.

« On te raccompagne. Aucun. Problème », ajouta-t-elle en insistant sur chaque mot.

Un frisson me parcourut l’échine. Ma tête s’enfonça dans mes épaules comme une carapace contre la fureur de la rouquine qui se rapprochait à chaque claquement de talons. Je redoutais la conversation qui s’en suivrait.

Une moto stationnée en plein milieu du trottoir me fit bifurquer sur la route inondée. Il pleuvait trop, le système d’évacuation n’arrivait plus à tenir la cadence. Une immense flaque d’eau sombre barrait la rue d’un bout à l’autre, dans une véritable tranchée fluviale. J’eus alors la désagréable sensation de rater une marche. Ma jambe s’enfonça jusqu’au genou dans un nid-de-poule étonnamment profond.

C’est alors que quelque chose me frôla. Je scrutai l’eau trouble. Une liane verdâtre s’enroula autour de ma cheville. Le bout de cette liane remonta sur mon mollet puis s’ouvrit, devant mes yeux effarés, sur une rangée de dents en pointes. Une seconde plus tard, je fus jetée à terre dans la flaque, avant d’être tirée à toute vitesse vers l’avaloir d’évacuation pluviale. Les filles hurlèrent.

Je crus que c’en était fini de moi, que j’allais me faire dévorer par un démon des égouts. Autour de moi il n’y avait rien à quoi m’accrocher. La liane me tractait jusqu’à son nid, et je ne pouvais rien faire. J’étais un poisson pris sur un hameçon. Mon souffle fut coupé net lorsque mes fesses se coincèrent dans l’étroit passage. Je sentis la liane tirer sur ma jambe, sans succès. Gloire au gros-cul !

« Sortez-moi de là ! », beuglai-je. 

Sasha se précipita pour me tracter par les épaules, mais le monstre faisait de même de son côté. Elle redoubla d’efforts. Lui aussi. J’allais me faire écarteler.

« Lili, viens m’aider ! »

Une deuxième paire de mains vinrent m’agripper sous les bras. Ensemble, Sasha et Élise réussirent à m’extirper hors du trou de béton. Mais la liane était toujours enroulée sur ma cheville. Sa bouche en étoile, infestée de petites dents pointues, s’ouvrit et se planta dans mon mollet. Les dents s’enfoncèrent dans ma chair, en me tirant un cri de douleur.

Les filles continuaient ce jeu de la corde pour me sortir entièrement, lorsqu’une moto déboula en klaxonnant. Surprise de nous trouver au beau milieu de la route, elle fit une embardée, glissa sur la chaussée, frotta son pneu contre le trottoir, et réussit à nous éviter de justesse. 

En passant, la moto faucha la liane qui m’explosa à la figure. Un hurlement strident remonta des profondeurs. Le restant de la liane spongieuse retourna dans l’égout en émettant des couinements. Je retirai le sang sur mon visage du revers de la main.

Décidément, les démons avaient une sale manie d’exploser à tout bout de champ. Ils ne se rendaient pas compte du nombre de lessives que cela demandait.

Je défis en vitesse le morceau mort autour de mon pied et le renvoyai au loin. Je me relevai avec difficulté. Ce truc m’avait blessée, et ma jambe me faisait trop mal pour m’appuyer dessus.

Sasha et Élise étaient immobiles, les yeux ronds et la bouche grande ouverte. Leurs visages dégoulinaient de sang. Les lunettes de Sasha l’avaient à peine protégée des projections. Je repensai à Seth et à sa blessure. Azazel avait dit que le sang de démon octroyait la capacité de les voir. Sasha tremblait, un doigt tendu vers le trottoir.

Et merde.

Un grondement sourd s’éleva, et le sol se mit à vibrer. Des secousses se firent ressentir, provenant des bas-fonds. L’arceau métallique de l’avaloir se souleva. Une autre secousse. Et encore une. Quelque chose essayait de sortir de là. Puis le trottoir au-dessus se fissura, avant d’exploser pour laisser sortir un gigantesque batracien violet.

Sa bouche comptait plusieurs rangées de dents jaunes et pointues comme les vers des sables des déserts d’Arrakis. Recouverte de pustules, sa peau fripée et visqueuse fumait sous la pluie glaciale de novembre.

Ce que j’avais pris pour une liane était en fait sa langue. Coupée par le passage de la moto, elle se tortillait dans tous les sens en giclant à tout va. Le crapaud démon grognait, furieux. Le trottoir se pulvérisa lorsqu’il y posa une patte s’en extirper. Il était pourvus d’épais doigts palmés, avec des extrémités aussi larges que des pastèques. C’était le démon le plus impressionnant que j’avais croisé jusqu’à présent.

Je me tenais devant les filles, les bras ouverts pour les protéger, et les intimai à reculer. Sa langue tranchée expulsait des jets de sang qui revenaient sans cesse nous arroser par vagues, comme un pommeau de douche qui nous échappe des mains.

Le bras tremblant d’Élise avança au-dessus de mon épaule. Elle tenait un spray au poivre entre ses doigts crispés. Elle appuya sur la gâchette dans un long et incroyablement faible bruit de pulvérisation. Je tournai une tête intriguée vers elle : tout son visage était parcouru de spasmes nerveux.

Son spray anti-agression n’eut pas, tout à fait, l’effet escompté.

Le poivre se colla sur la peau humide du batracien qui se mit à gronder comme le tonnerre, encore plus énervé. Sa langue fut aspirée au fond de sa bouche. Il se dressa et commença à gonfler son poitrail translucide. Je ne savais pas ce qu’il allait faire, mais la curiosité dont j’avais fait preuve pour le premier démon avait disparu. J’inspirai, remplissant d’air mes poumons au maximum, puis relâchai le tout dans un seul cri :

« COUREZ ! »

Nous dérapâmes toutes les trois dans la flaque d’eau, et courûmes à perdre haleine en direction de la maison. Le sol tremblait de plus belle. Il était à nos trousses. Je jetai des coups d’œil paniqués en arrière : il avançait plus vite que son corps énorme sur des pattes courtes le lui permettait. Chacune de ses enjambées éclatait la route, projetant des morceaux de goudron dans nos mollets. Sasha courrait devant en serrant sa sacoche. Les cheveux d’Élise voletaient à ma droite. Je boitais aussi vite que je le pouvais. Plus que quelques maisons et nous serions en sécurité.

Alors que nous étions en train de le semer, le crapaud se mit à sauter sur les voitures garées le long du trottoir. Il était lent, mais sa taille démesurée l’avantageait. Il risquait de nous barrer la route devant le portail.

Sasha arriva la première. Elle sauta par-dessus le muret et continua sa course sans se retourner jusqu’au perron. À cause de ses talons, Élise ne put effectuer la même prouesse. Elle prit de l’élan, glissa, et plongea tête première dans le muret.

« AZA ! » hurlai-je en arrivant près d’elle pour la relever.

Nous passâmes le portail, arrivâmes dans le jardin, lorsque le crapaud grimpa sur le muret. J’accélérais le pas. J’entendais les pierres grincer et tomber sur le gazon. Puis son ombre fit un bond et rétrécit au-dessus des nôtres. Il allait nous écraser.

Sans réfléchir, je poussai Élise aussi loin que je le pus, avant de me retourner, les bras tendus pour repousser le monstre.

Mes bras s’embrasèrent lorsque j’entrai en contact avec sa peau suintante. Ils se recouvrirent d’une épaisse couche noire qui craquela. J’avais du mal à rester debout tant il était lourd. Mes pieds s’enfonçaient dans la terre. Je devais tenir ! Si je lâchais, il me tomberait dessus et m’écraserait !

Mes doigts s’enfoncèrent dans le corps du batracien dans un glougloutement infâme. Je dus poser un genou à terre. Entre les plaques sombres, la braise orangée de ma peau prit une intense couleur dorée qui m’aveugla presque. Leur éclat redoubla au prix de mes efforts pour maintenir le démon loin d’Élise. Deux plaques noires se formèrent sur sa peau, en cercle autour de mes mains.

Le démon poussa un cri. Le bout de langue tranchée se mit à battre l’air autour de moi, passant dangereusement près de ma tête. J’allais me faire décapiter !

« AZA ! »

J’entendis le grincement caractéristique de la chatière, et le fouet de ses petites pattes galopant sur le bois. L’instant d’après, le chat pelé dégagea le crapaud d’un double coup de pattes arrières. Le corps du démon se retourna et glissa sur le dos jusqu’au grillage du voisin. Deux trous noirs fumaient sur son abdomen. Azazel feula avant de se jeter à nouveau sur lui. J’en profitai pour me relever, attraper Élise par sa blouse et la traîner sur les escaliers, en sécurité derrière le sceau.

Sasha était figée sur leur combat. Élise, allongée sur les marches avec moi, n’osa pas détourner son regard d’eux. Ses yeux se remplirent de larmes de panique, et elle se mit à trembler.

Le chat cogna et griffa le monstre à plusieurs reprises, dans un enchaînement fulgurant. C’était incroyable de le voir en action. Il sautait dans tous les sens en donnant des coups de patte impressionnants dans le corps mou du démon. S’il avait pris sa forme réelle, il l’aurait éclaté en quelques secondes.

Le crapaud se releva à grand-peine, puis tourna les talons. Il défonça le reste du grillage et battit en retraite. Azazel, couvert de sang, le poil hérissé, souffla bruyamment par les narines dans un « c’est ça, dégage » évident. Il trotta jusqu’à moi. Sans réfléchir, je le caressai. Il me fit un signe de tête en direction des filles. Elles étaient sous le choc, les yeux prêts à sortir de leurs orbites. Je m’accoudai sur une marche, la respiration encore erratique.

« Bon, heu… je crois qu’il faut que je vous avoue que j’ai peut-être volontairement omis de vous parler de deux-trois trucs… »