« Allô oui bonjour, ici Seth Hawkins, le tuteur de Perse Evans. Je vous appelle pour vous informer que ma petite Perse ne pourra pas venir en cours aujourd’hui. Oui… Elle est très malade. Eh oui… Tout à fait, oui. Vous voulez qu’un de ses camarades passe lui apporter ses notes ce soir ? Ce serait fort aimable de votre part. Je vous remercie. Bonne journée à vous aussi. »
Azazel était assis dans la cuisine, mon portable en haut-parleur devant les pattes. Je me redressai, constatant avec soulagement que Sërb avait fait des miracles avec mes côtes. Je pris deux grandes inspirations sans douleur ni inconfort. Je m’étirai, posai un pied au sol et me levai avec précaution. Il avait même soigné ma morsure au mollet et mes courbatures.
J’étais comme neuve, et presque reposée. La roue était enfin en train de tourner dans un sens appréciable. Je rejoignis le chat pour nous préparer du café. Il sursauta en me voyant.
« T’es réveillée ? s’étonna-t-il. Ça fait des plombes que je te secoue sans succès, j’ai fini par appeler ton lycée pour les prévenir que tu n’y irais pas de la journée. »
L’horloge murale indiquait neuf heures passées. Sachant que j’avais dû m’endormir peu après l’arrivée des spectres dans le jardin, à la nuit tombée, je calculai plus de quinze heures de sommeil.
« Je suis juste allée rendre visite à Sërb, pourtant.
— Visite ? répéta-t-il en abaissant une oreille.
— Je voulais lui parler de l’idée d’Élise. Il pense aussi que c’est une piste intéressante à suivre.
— D’accord. …Tu vas bien ? me demanda-t-il après une pause. Tu m’as l’air perturbée.
— Oui, c’est juste qu’il s’est passé beaucoup de choses dans les Enfers, mais que je ne pensais pas y être restée aussi longtemps.
— Tu me racontes ?
— Belzebuth était là, mais je me suis cachée. Il ne m’a pas vu. Apparemment il n’arrive plus à me trouver ici. Je crois que c’est grâce à la tisane. »
Je me dirigeai vers la cafetière, tapotant au passage la carafe de tisane pour la féliciter de son exploit.
« Lucifer m’a appris à voler. Et je sais aussi comment traverser. Enfin, non. Je sais comment quitter les Enfers. C’est déjà ça. Mais tu aurais vu ça, c’était incroyable, m’enthousiasmai-je en remplissant le filtre de café. Il a déployé ses ailes et on a plané au-dessus de la plaine, jusqu’à la cascade. À un moment, il est descendu en piqué, j’ai cru que mon cœur allait lâcher. Puis on est remonté dans les nuages. Après il nous a posés en haut d’un arbre, c’est là que j’ai volé toute seule et… C’est quoi cette tête ?
— Oh non, pour rien. T’es en train de sourire en me racontant que t’as passé une super nuit en compagnie du porteur de lumière. Ça en serait presque mignon. Il t’a cueilli des fleurs, aussi ?
— Fous-toi de ma gueule si tu veux. Pour une fois qu’il était sympa, je ne risque pas de me plaindre. Par contre, l’état de Sërb se dégrade à vue d’œil. J’envoie un message à Élise, qu’elle contacte Adam pour nous arranger une entrevue avec leur guérisseur. Il faut qu’on trouve un antidote au plus vite. Sërb a réussi à me remettre sur pieds, mais ça l’a mis sur les rotules.
— Il t’a soignée ?
— Ce n’est pas la première fois.
— Non, mais là ça tombe très bien ! Habille-toi, on part en balade. »
Le téléphone en main, j’eus à peine le temps d’envoyer le message à Élise qu’Azazel me pressa pour qu’on parte. Une fois dans la rue, nous dûmes faire demi-tour pour préparer un thermos de café. Il y tenait.
Nous prîmes le bus jusqu’à l’ancien quartier industriel. J’eus peur qu’il veuille retourner dans la maison de madame Lucas, mais il avait une autre idée en tête. Nous marchâmes un moment sur le bord de la route pour rejoindre une vieille usine désaffectée, à l’écart de la ville.
Le bâtiment était à l’abandon depuis des années. L’entrée des employés avait été condamnée, mais le chat l’ouvrit d’un coup de patte, pulvérisant les gonds au passage. La lourde porte métallique tomba au sol avec fracas. Nous entrâmes dans le hangar principal.
À l’intérieur, tout avait été pillé, cassé, et les murs étaient tagués jusqu’aux fenêtres barricadées par des planches. Le sol était inondé jusqu’à hauteur de cheville. Il était jonché de gravats, et la végétation avait repris ses droits. Du béton sortait plusieurs sortes de plantes aquatiques. Le plafond s’élevait à plus de vingt mètres de hauteur, et avait conservé la majorité de sa toiture. Seules quelques plaques manquantes laissaient passer la lumière du jour. Le bâtiment, encore debout malgré les dommages du temps, semblait être à toute épreuve.
Je me demandais pourquoi il avait tenu à venir précisément ici.
Azazel tordit une patte pour atteindre sa nuque. Il y eut un curieux bruit de fermeture éclair. Le même que j’avais entendu alors que le démon-crabe s’était apprêté à se jeter sur moi. La fourrure glissa sur son dos pour découvrir la peau bleue d’Azazel. Il sortit de son costume de chat, le plia avec soin et le posa sur mon sac. Il inspira longuement et souffla. Son corps s’élargit alors, graduellement. De mes pieds, il arriva à ma taille, dépassa ma tête, puis grandit jusqu’à atteindre les quatre mètres de haut que j’avais estimé dimanche dernier. Ma nuque émit un craquement.
Il était impressionnant. Un tas de muscles aux veines proéminentes. Sa tête paraissait petite, plantée au sommet de cette montagne de chair bleue. Deux cornes incurvées vers le bas encadraient son visage carré. Il plissa les yeux, leva les bras et s’étira en faisant craquer ses articulations.
« Raaah putain ça fait du bien ! C’est qu’on est un peu à l’étroit dans ces corps d’emprunt.
— … corps d’emprunt ?
— Oui. Je t’avais dit que notre apparence s’était adaptée aux Enfers. Mais avant, il y a longtemps maintenant, je te ressemblais. Enfin, je ressemblais à un humain je veux dire. Certains infernaux ont décidé de garder leur apparence d’origine. Lucifer, notamment, dit-il en tirant sur ses coudes pour étirer ses triceps. Bel aussi, même s’il aime bien se transformer en Baphomet rongé par les vers pour effrayer les humains. Pour les autres qui ont, comme moi, délaissé leur corps frêle pour se forger quelque chose de plus impressionnant et utile, nous devons utiliser des corps d’emprunt pour aller dans le Royaume des Humains. »
Il s’étira les jambes en se baissant sur l’une et l’autre par alternance, puis fit quelques foulées sur place avant de se lancer dans une série de squats. Le sol vibrait légèrement sous son poids. Ce bâtiment était vraiment à toute épreuve.
« On a un super vestiaire pour les gradés, avec une large gamme de choix, continua-t-il en faisant pivoter son torse pour assouplir son dos. Amon a un dressing à lui tout seul, une vraie diva. Moi, je n’en ai que deux : une reproduction de mon apparence originelle, et ce chat. Il faudra que je le fasse changer, d’ailleurs. Je l’ai trop utilisé, il est arrivé à la limite. Je ne pense pas que je pourrais le faire reprendre encore, il est carrément en train de pourrir. »
Ce qui expliquait donc l’odeur de mort qu’il diffusait joyeusement sur mes draps et les coussins du canapé.
« C’est pas tout ça, dit-il en faisait craquer sa nuque, mais les heures filent à une vitesse dans ce monde, ne perdons pas plus de temps. Montre-moi ton bras qui brille. »
Je m’exécutai. Ce tour-là, je le maîtrisais plutôt bien désormais. Ma peau rougeoya comme une braise, du bout de mes doigts au creux de mon coude. Les symboles apparurent. Ils gravirent mon épaule jusqu’à mes clavicules. Leur lueur semblait continuer hors de ma vision. J’embrasai mon autre bras et nous les contemplâmes un moment. Ils chatoyaient dans un mélange hypnotique de jaune et de rouge, comme de la lave en fusion. Azazel se redressa et je leur fis reprendre leur forme.
« Recommence, m’ordonna-t-il.
— Je…
— Eh, on n’est pas venus là pour trier des lentilles. Recommence, j’te dis. »
Je m’exécutai à nouveau, un peu confuse. Azazel les examina de plus près, sans y toucher. Au bout de quelques secondes, ma chair revint.
« OK, je crois que j’ai compris. Essaie de m’attaquer maintenant.
— … pardon ? »
Est-ce que c’était pour ça qu’il avait voulu venir dans ce hangar abandonné ?
Comment pouvait-il me demander un truc pareil ? Je n’avais jamais attaqué personne. J’avais giflé un garçon de ma classe une fois, mais l’expérience s’arrêtait là, et puis j’avais huit ans à l’époque. À quoi s’attendait-il ? Que je me jette sur lui et le griffe à coup d’ongles ? Je venais de les couper plus court en plus. C’était n’importe quoi. Sans compter qu’il faisait quatre mètres de haut. Comment étais-je censée m’attaquer à un truc pareil ?
Azazel arrêta ses échauffements. Il croisa ses bras sur son torse et me fixa en plissant les yeux. Ah, parce qu’en plus il attendait ?
Je haussai les épaules pour toute réponse. Le géant sourit, dévoilant ses dents jusqu’à ses mâchoires, et se rua sur moi sans prévenir.
Le con !
Un couinement m’échappa. Je me mis à courir comme une dératée. Il zigzaguait pour me laisser de l’avance, puis prit de l’élan en sautant contre les murs et atterrit juste devant moi. Le sol fut pulvérisé. Je dérapai sur les gravas pour l’éviter, glissai sur la droite, posai la main à terre pour effectuer un virage à cent quatre-vingts degrés, et repartis en courant dans l’autre sens.
« Tu as de bons réflexes gamine, mais tu ne pourras pas toujours être aussi rapide ! »
Du coin de l’œil, je le vis donner un coup d’épaule à une des colonnes. Le hangar trembla, et un tas de gravats s’effondra pile sur ma route. J’évitai de justesse de me faire ensevelir. Je me retournai pour fuir de l’autre côté, mais ma tête heurta de plein fouet le ventre musculeux du géant. Il m’attrapa par le pull et me souleva.
« Je te tiens ! »
Agrippée à son poing, mes jambes gesticulaient dans le vide. Azazel riait, trop heureux de m’avoir attrapée. J’avais l’impression d’être une minuscule souris prise dans les griffes du chat. Je me débattais sans pouvoir m’extirper de sa poigne. Mon cœur battait à tout rompre.
Sa main immense vint me frotter le crâne, puis il me posa au sol en ricanant. Un débris de vitre refléta mon visage rougi par l’effort, sous une touffe informe de cheveux emmêlés.
« Allez, gamine. On recommence. Mais cette fois, utilise ton bras qui brille. »
Je ne comprenais pas. Était-il en train de me demander que je le brûle ? Parce que c’était ce qui était arrivé lorsque j’avais stoppé le batracien géant dans son élan. Mes mains avaient fait fondre sa chair visqueuse, et il été reparti avec deux ronds noirs carbonisé sur le torse. Je secouai la tête. Je ne pouvais pas retenter l’expérience avec Azazel. Ce serait… mal ?
Il n’attendit pas que je lui partage le fond de ma pensée, et se remit à me poursuivre.
« Nonononon ! Arrête ! Je veux pas jouer à chat ! beuglai-je au géant bleu qui galopait sur le mur à ma droite.
— Alors arrête de courir et attaque-moi.
— T’es un grand malade ! Ah ! »
Azazel bondit. D’instinct, mes bras s’embrasèrent. Et lorsque je touchai sa peau, ils se recouvrirent de noir.
Je repoussai Azazel sans forcer, et l’envoyai à l’autre bout de la pièce. Nous fûmes deux à être surpris. Le mur s’enfonça sous l’impact avant de s’écrouler, ensevelissant le géant bleu sous un tas de gravats. Incroyable : je venais de le balancer comme s’il ne pesait rien.
Je soufflai, la bouche grande ouverte, tentant d’avaler un maximum d’air. J’avais un point de côté et un grave problème respiratoire.
Azazel se redressa et s’épousseta. Il avança jusqu’à moi en serrant les dents, élargissant un peu plus sa tête carrée. Son torse portait deux marques noires, des empreintes parfaites de mes mains. Sa peau fumait légèrement sur mes traces. C’était moi qui lui avais fait ça ? C’était dingue. Je l’avais brûlé.
« Allez, on reprend. Je suis pas venu pour enfiler des perles.
— Maso ! dis-je, à bout de souffle.
— Alors, oui, mais on reprend quand même. Je suis pas venu pour enfiler des perles.
— Je… Je croyais que… ton seul boulot était de me garder… en vie, pantelai-je, pas de me courir après… toute la matinée… Tu voulais jouer… les coachs sportifs ?
— Mais qu’est-ce que tu crois que je suis en train de faire là ? Je t’aide à te garder en vie. N’oublie pas que je suis en vacances, et j’aimerais bien en profiter un peu. Si t’apprendre à te défendre peut me permettre de pioncer tranquille sans m’inquiéter de te savoir seule dehors, je ne vais pas m’en priver. Bon, on fait une pause avant que tu nous fasses une syncope. »
Respirant à la manière d’un poisson hors de l’eau, j’acquiesçai en secouant la tête. Je m’assis sur un rail métallique, essayant tant bien que mal de reprendre mon souffle. Il tenta d’ouvrir le thermos de ses doigts gigantesques, avant de le plier en pestant. Je bus une longue gorgée d’eau pour qu’il ne me voie pas me moquer de lui.
« Tu penses arriver à m’apprendre à me battre ? »
Azazel éclata de rire.
« Te battre ? Certainement pas, gamine. Se défendre et se battre sont deux choses différentes. Ton job, c’est de rester en vie, pas de chercher comment mourir plus vite. Et puis, sans vouloir diminuer tes efforts, même avec tes bras qui brûlent, pour l’instant, tu as la dangerosité d’un doigt d’honneur dans une moufle », dit-il de son habituel sarcasme puant.
Mon bras s’enflamma de lui-même pour montrer mon désaccord. Azazel leva un sourcil et m’adressa un sourire de défi. Sans crier gare, il se jeta à nouveau sur moi. Sauf que cette fois, je l’avais anticipé.
Je sautai de côté et attrapai son poignet au vol. Je repensai à ma tasse de thé fumante pour illuminer ma peau de plus belle. Nous fûmes tous deux éblouis par leur éclat. Azazel étouffa un cri de douleur dans un gémissement et retira son bras.
« Putain, ça fait mal ! C’est bien, ça te sera utile si je ne suis pas dans le coin comme la dernière fois. »
Il secoua sa main pour tenter d’atténuer la douleur.
« Bordel de merde, ça brûle comme un putain de tisonnier. Ça me rappelle les feux de l’Enfer, avant qu’Astaroth ne fasse les travaux. Il ne supportait pas la chaleur, ajouta-t-il devant mon regard circonspect. C’est pas le genre de gars que tu trouveras étendu sur une plage marocaine. Il est plutôt du type spa en Islande, au frais, entouré de forêt. Bref. Et sinon, tu as d’autres trucs en stock ? »
Je repensai aux sphères d’énergies, à la main qui en était sortie pour m’attaquer, à Roberta qui était encore à l’hôpital, et à cette mouche de malheur qui m’avait amené à me trancher le poignet avec un scalpel.
« Non », mentis-je.
Je ne savais pas ce dont elles étaient réellement capables, mais j’étais épuisée et je n’avais pas envie de réitérer ces expériences qui m’avaient laissé un souvenir amer.
« Alors on recommence. »
Et merde. Les symboles montaient moins haut sur mon corps à chaque nouvelle attaque. Au bout d’un moment, ils cessèrent d’apparaître et mes bras refusèrent de s’illuminer. J’eus beau me concentrer, utiliser toutes mes forces, il ne se passa plus rien. L’entraînement prit fin.

Il fallut plusieurs heures avant que je puisse à nouveau utiliser mon pouvoir. Les symboles qui illuminaient ma peau servaient en fait de jauge de puissance. Je m’installai sur les marches du perron avec une tasse de thé, attendant que la nuit tombe. Je voulais voir si cette capacité pouvait faire partir les spectres.
Le portail grinça. Gabriel venait m’apporter mes cours. Évidemment. Il avait dû se proposer en agitant sa main comme un épileptique, trop heureux d’avoir enfin une amie fille. Je descendis la dernière marche et allai à sa rencontre. Il me servit un sourire éclatant, et me tendit son carnet de notes.
Il ne put s’empêcher de me tenir la jambe en me précisant qu’il s’était appliqué à écrire pour que je n’aie pas de difficulté à le relire. Il avait même noté son numéro de téléphone sur la première page et insista longuement pour que je l’appelle au moindre doute.
Je voulais vraiment être sympa avec lui, faire des efforts. Mais la gentillesse de Gabriel dépassait les limites de ma patience. Il ne cessait de parler, et parler, et parler. Supporter sa gerbe verbale m’était pénible.
« Tes cheveux sont plus blonds, non ? Ça te va à ravir.
— J’ai fait des mèches », tranchai-je un peu brutalement pour couper court à cette conversation que j’avais déjà eue avec un autre.
Qu’est-ce qu’ils avaient tous avec mes cheveux ? Ils étaient très longs, blond clair, avec de nouvelles stries platine c’est vrai, et ils fourchaient sur les pointes, ce qui me laissait souvent des bouts dorés sur les poches arrière de mon jean. En dehors de ça, c’était des cheveux tout ce qu’il y avait de plus normaux.
Gabriel approcha sa main. Je penchai la tête sur le côté dans une esquive superbement réalisée.
Son visage s’empourpra de gène alors que le mien devait être aussi fermé qu’une porte de prison. Ne se rendait-il pas compte à quel point c’était déplacé de sa part ? Visiblement si, car il conclut cet échange malaisant par des phrases de politesse, un pas en arrière, quelques courbettes déplacées et un sourire au rictus hésitant avant d’enfin s’éloigner.
L’obscurité était tombée. Un spectre apparut là où s’était tenu le blondinet une seconde auparavant. Je saluai Gabriel d’un geste de la main, alors que d’autres spectres se rassemblaient autour de moi et commençaient à m’agacer à vouloir eux aussi me toucher sans ma permission.
La porte. C’était reparti. Elle veillera sur. La porte. Ça ne m’avait pas manqué. Gabriel passa le portail d’un pas lent. Elle est là. La clé. J’avais hâte qu’il disparaisse au bout de la rue. Elle veillera sur. Encore quelques mètres. La porte.
« C’est plus vraiment au programme », murmurai-je aux spectres.
Lorsque la dernière mèche de sa tête disparut à l’angle de la rue, j’allumai mon bras et tentai d’attraper un des spectres. Je ne sentis même pas la fraîcheur de son corps entre mes doigts. Une légère brise, tout au plus. Comme si j’essayai d’attraper l’air. Ce que j’étais techniquement en train de faire. Je soupirai.
Décidément, à part brûler un démon ou un ange à l’occasion, ce pouvoir ne servait pas à grand-chose. Un groupe éthéré se rassembla autour de moi. Leurs chuchotements devinrent vite une cacophonie pour mes oreilles et, dépassée par leur nombre, je retournai à l’intérieur.
« C’était qui ce Don Juan de bac à sable ? demanda le chat qui regardait un talk-show idiot en pouffant.
— Un gars de ma classe et le crush d’Élise.
— C’est con pour elle. Je n’ai pas eu besoin de voir sa gueule pour savoir que c’est après toi qu’il en a. Pauvre petit cœur d’humain que tu vas briser au profit de ton amitié pour la rouquine, se moqua-t-il.
— Hein ? Non. Impossible. Tu te fais des idées. Il est particulier, mais de là à…
— Oh crois-moi, j’ai suffisamment pris de vacances dans ce monde pour te certifier qu’il aimerait bien fourrer sa langue dans ta bouche sous un Abribus un jour de pluie. »
Azazel parlait souvent avec des images et métaphores douteuses, mais celle-ci était tout bonnement infâme. S’il avait raison, il me faudrait le faire comprendre à Gabriel. Je n’accepterai pas que le cul-béni sorti de son trou se serve d’Élise comme prétexte pour se rapprocher de moi.