Ap 32 : « Tu te sers de ce bras? »
Ap 32 : « Tu te sers de ce bras? »

Ap 32 : « Tu te sers de ce bras? »

Vers dix heures, mon portable vibra dans ma poche. C’était le numéro de l’hôpital. Le professeur m’autorisa à prendre l’appel dans le couloir. La voix sombre du docteur Hussain n’était pas encourageante.

« Je n’ai malheureusement pas de bonnes nouvelles à t’apprendre. Elles ne sont pas mauvaises non plus, cependant, tenta-t-elle de rester optimiste. La quarantaine a été levée, et ta grand-mère vient d’être transférée dans une chambre. Tu peux lui rendre visite si tu le souhaites. Mais je dois te prévenir que son état est inchangé. Elle est encore dans le coma. L’hémodialyse a stoppé l’avancée de l’infection, mais mes collègues ne savent pas encore comment la faire reculer. Pour le moment, ils ont opté pour un statu quo. Bon. Et toi, jeune fille, comment te sens-tu ?

— Je vais mieux. Je respire à nouveau normalement.

— Déjà ? Tu es une battante. As-tu bien fait tous tes exercices, et t’es-tu reposée ?

— Oui oui », mentis-je.

Un groupe d’étudiants tourna dans le couloir. Jackson vint vers moi. Je lui fis signe que j’étais au téléphone, alors il me frotta le crâne et m’adressa un clin d’œil en continuant son chemin. Je le lui rendis, puis souris au passage de son ami Léo.

Léo. Le beau gosse de leur bande, mon crush depuis mon arrivée dans cette ville, et le seul homosexuel assumé de ce lycée. J’adorais ses longues dreadlocks qu’il portait en chignon, teintes dans un semblant de rouge, et qui ressortaient à merveille sur sa peau de malgache.

« Bon. Tant mieux, continua le docteur Hussain. Ne force pas trop, même si tu te sens mieux.

— Rassurez-vous, je n’ai pas prévu de préparer un marathon, répondis-je en repensant à l’entraînement intensif de la veille.

— Voilà, attends encore un peu pour le marathon », rigola-t-elle. 

En bout de course de ce peloton de biologie de niveau deux, le maigrichon fermait la marche. Il passa devant moi sans m’adresser le moindre regard. La voix du docteur se fit lointaine. Je ne pus m’empêcher de le regarder. Il marchait les mains enfoncées dans les poches de son jean noir, ses éternelles Ray-Ban sur son visage inexpressif, le menton dissimulé dans le pli de son écharpe.

Je mordillai l’ongle de mon petit doigt en me demandant comment il avait pu refuser les avances de cette fille à la soirée. Elle était exubérante certes, mais aussi très belle. Bien plus que moi. Peut-être qu’elle n’était pas son style, mais ça m’étonnait que je sois le sien. Sasha se trompait.

Elle cherchait à me caser depuis que sa tentative avec Léo était naturellement tombée à l’eau à l’arrivée de son petit copain. J’y avais pourtant cru jusqu’à la dernière minute. Il s’était montré tellement agréable, enjoué et sympathique lors de cette soirée. Comme Léo, le maigrichon s’était juste montré sympa, voilà tout. Plusieurs fois, certes, mais il n’y avait rien de plus. Je ne pus m’empêcher d’être déçue.

« … ça a dû couper…

— Ah ! Non, pardon ! Je suis là ! » m’écriai-je dans le téléphone.

J’en avais oublié le docteur Hussain. Je repris le cours de la conversation, la remerciai de m’avoir appelée pour me donner des nouvelles de Roberta, puis raccrochai poliment.

Au bout du couloir, le maigrichon s’arrêta et tourna la tête vers moi. Le couloir était vide. Je sentis mes joues s’empourprer et mon cœur accélérer. J’aurais pu lui faire un signe, mais je restai là, plantée comme une idiote qui ne savait pas ce qu’elle devait faire, comment, ou pourquoi.

Il me regarda un moment, avant de disparaître dans la salle. Je soufflai. Est-ce que… ? En même temps, je n’avais pas remarqué que Léo ne s’intéressait pas aux filles ni que Gabriel craquait pour moi, alors mon radar n’était pas vraiment digne de confiance. Je soupirai. C’était de la faute de Sasha si je me mettais à envisager le maigrichon. Mais cette fois, hors de question de me laisser entraîner dans ses délires.

De toute façon, je n’avais pas le temps de me préoccuper de sujets aussi triviaux. Je retournai en cours avec la désagréable impression de me fermer à ce qui pourrait être ma dernière possibilité de relation amoureuse dans ce monde.

Le fils des voisins tenait un stand de cookies sur le perron. Je souris. C’était astucieux de faire la sortie des écoles. Il remonta son écharpe sur son cou et défroissa sa veste à mon approche. Sa mère avait dû lui dire que tout était dans la présentation. Par acquit de conscience, je lui achetai une boite en m’excusant de l’avoir bousculé la dernière fois.

Ses cheveux châtains étaient coiffés sur le côté, séparés par une raie droite. Il avait des yeux bleus opalins sous une rangée de sourcils fournis, et des grosses joues de bébé, rondes et hautes sur les pommettes. Il insista pour que je lui achète deux boites au lieu d’une, étant donné que je l’avais fait tomber par terre et qu’il s’était sali par ma faute. Je levai un sourcil. Il me répondit en étirant ses lèvres au maximum, dans un sourire narquois qui révéla deux fossettes profondes. C’est qu’il était malin en plus, ce gosse. Je lui tendis un billet et lui permis de garder la monnaie. Il dévoila ses dents blanches pour me remercier. 

« Merci ! Au fait, il est cool votre vernis ! » m’apostropha-t-il alors que je m’éloignais déjà.

Je regardai mes doigts. La tisane commençait à montrer des signes de faiblesse : mes ongles étaient tous d’une couleur différente, dans un camaïeu de gris. Il avait raison, l’effet était cool si on mettait de côté le but premier de cette coloration nuancée. Je lui répondis par le même sourire exagéré et l’entendis rire. Ah, les gosses.

Sur le chemin, je me retrouvai coincée par une barrière de travaux. Le crapaud géant avait défoncé la chaussée, et même si elle ne savait pas à quoi cela était dû, la municipalité avait condamné cette portion de route pour la remettre en état. Je dus prendre le raccourci à travers le parc, contre les recommandations d’Azazel. Mes ongles étaient gris, mais j’avais encore le temps de rentrer. Il me suffisait de me dépêcher.

Le parc Shuswap, en bordure du fleuve Fraser, avait été construit en commémoration de la trêve de 1858 avec les nations autochtones salish de la région. Il s’étendait sur plusieurs hectares, avec autant d’espaces verts que de chemins arborés. Ils avaient creusé un étang dans lequel poussaient nénuphars, roseaux et autres plantes aquatiques, entouré par trois grands saules pleureurs.

C’était un très bel endroit, aussi agréable pour un pique-nique du dimanche que pour un tour de piste matinal. Il était rare de s’y trouver seul, en dehors des jours de pluie comme aujourd’hui. J’accélérai l’allure en passant devant l’étang. Je ne souhaitais pas recroiser cet infâme crapaud, et cette étendue d’eau me semblait particulièrement attrayante pour s’y cacher. Mieux que les égouts, à mon avis.

J’empruntai l’allée menant aux jeux d’enfants. Ils auraient pu faire un effort. Seuls un toboggan en métal, deux animaux à bascule, et une rangée de balançoires s’ajoutaient à l’immense bac à sable. À part adorer faire des pâtés et des châteaux, il y avait peu de possibilités de s’amuser au-delà de l’âge de trois ans. Le grillage qui délimitait l’espace de jeu lui donnait en plus un air de cour de prison.

Qu’était-il passé dans la tête des employés municipaux pour construire un espace de béton et de sable au milieu de cet idyllique parc de verdure ?

Le portique ne se trouvait qu’à quelques mètres. Il ne me resterait qu’à tourner à l’angle de l’avenue Mackenzie pour rejoindre Dugan, passer les trois habitations et je serais à la maison. La bruine avait terminé de détremper ma capuche, je sentais ma casquette se refroidir sur mon crâne. C’était un coup à tomber malade.

En marchant, je crus voir bouger sur ma droite. Je m’arrêtai et tournai la tête. Il n’y avait personne. L’étendue de sable humide était immobile. J’avais dû rêver.

Je repris mon chemin, mais un deuxième mouvement dans le coin de l’œil me fit m’arrêter à nouveau. Cette fois, je fus sûre d’avoir vu quelque chose. Je scannai les environs, observai chaque jeux, attendant que l’un d’eux bouge. Rien. Voilà que j’avais des hallucinations.

Je repris mon chemin en accélérant toutefois le pas. Sur ma droite, le mouvement repris, accélérant à son tour. Ce n’était pas normal. Je filai en direction du portique, quand le sable se souleva dans un monticule surnaturel. Je me pressai vers la sortie sans le lâcher des yeux.

Un bras de la couleur du sable en sortit. Un deuxième, puis une tête ronde sans visage et tout un corps de bodybuilder apparurent.

C’est pas vrai… Comment avait-il pu me trouver, mes ongles étaient pourtant encore… Non ! Ils étaient redevenus blancs ! Saleté de tisane de merde !

Je tentai un sprint en direction du tourniquet, mais le golem de sable bondit hors de son bac pour se mettre en travers de mon chemin. Je trébuchai et tombai à terre. Il n’atteignait pas la hauteur d’Azazel, mais il était si large qu’il me barrait la route. Je devais réfléchir vite. Il n’y avait que quelques mètres jusqu’au portique. Vu sa corpulence, il ne devait pas courir plus vite que moi, et j’avais de l’entraînement maintenant.

Je pris une grande inspiration et me jetai entre ses jambes. Glissant sur l’allée de béton, je me relevai et m’élançai, mais ne fis qu’un pas de plus.

Son poing me frappa de côté, me projetant à l’autre bout du jardin d’enfants. Ma tête heurta rudement le toboggan qui se renversa sous le choc. Je me redressai en titubant, complètement sonnée. Ma tempe battait douloureusement, ma vision était trouble. Son bras, qui s’était allongé de plusieurs mètres, était en train de se rétracter.

OK. Ça, c’était pas du jeu !

Je tentai de le contourner par la gauche, mais il allongea à nouveau son bras. Le mien s’embrasa en guise de réponse. Je réussis à le prendre de vitesse et à sauter par-dessus en prenant appui sur lui. Hélas, je ne pus éviter son autre poing, qui me frappa de plein fouet dans le ventre. Je glissai dans l’étendue sableuse jusqu’au grillage, et ma tête heurta la clôture de métal.

Le démon se rapprocha de moi. Je sentais du sang couler sur mon front en un filet chaud. Il avança de deux pas, aspirant le sable autour pour augmenter encore son imposante carrure. J’étais à moitié assommée, coincée entre deux pans de grillage et il se dressait devant moi pour me bloquer le passage. Comment avais-je pu croire une seule seconde que je pouvais m’en sortir sans l’aide d’Azazel ?

Le golem leva le bras et je sus que c’était la fin.

C’est alors qu’il y eut un bruissement sourd, comme un vol de milliers de chauves-souris. Une ombre descendit brusquement sur nous, retirant le peu de lumière qu’il restait à ce jour pluvieux. Le sol trembla lorsque des serres s’y plantèrent.

Une main pourvue de griffes se referma sur le bras du golem, le retenant à quelques centimètres à peine de mon visage. Je soufflai dans un hoquet. La main noire serrait son poing épais sans forcer, le maintenant sous son joug comme s’il n’était qu’un banal obstacle.

Ses longues ailes membraneuses se rétractèrent, découvrant un corps malingre, presque malade. Sa peau, de la couleur d’un os poli, tranchait avec le noir abyssal de ses cheveux qui reposaient sur ses épaules. Deux cornes légèrement incurvées sortaient du haut de son crâne. Au bout de ses fines jambes velues, ses serres noires reposaient sur le sable humide comme une rangée de couteaux de cuisine. Un frisson parcourut l’entièreté de ma colonne.

Quatre.

J’avais cru mourir et ce répit n’était pas de meilleur augure. Il était encore plus impressionnant que dans cette salle obscure, et cette fois, je ne pouvais pas me dérober en disparaissant dans un nuage de brume éthérée. Aucun dessin au monde, même le plus mignon ou ridicule, n’avait pu atténuer la terreur que je ressentis en le voyant ainsi dressé devant moi.

Le démon gronda, faisant vibrer le sable sur sa peau.

« Tu te sers de ce bras ? » lui demanda Quatre de sa voix morne et grave, sortie d’outre-tombe. 

Il serra sa prise, et le poignet du géant se brisa comme on fend une bûche. La moitié de son bras retomba se mêler au sable. Quatre le relâcha, le temps d’un cri. Le mien. Il tourna légèrement la tête, roula ses pupilles dans ma direction et me considéra avec un mépris évident. Leur intense éclat émeraude m’ôta toute capacité de respirer. J’étais pétrifiée.

Les démons, je commençais à connaître. Azazel m’avait appris à m’en protéger un minimum. Quatre, en revanche, c’était une tout autre histoire. Il fit claquer sa langue.

« Tsss », laissa-t-il échapper sans me lâcher des yeux.

Je reculai sur les derniers centimètres qu’il me restait en arrière, me retrouvant acculée au grillage. À terre, face à ces deux monstres, mon cœur battait n’importe comment. Je ne savais plus lequel des deux était le plus menaçant, mais surtout, je ne comprenais pas. Est-ce que Quatre venait de m’aider ? C’était absurde. Pourtant, sans son intervention, je serais morte.

Derrière lui, le golem reformait son bras en absorbant du sable. C’était loin d’être terminé. Il recula d’un pas et sa tête sans visage s’ouvrit en deux. Une bille rouge s’alluma au fond de sa gorge, tandis qu’une voix mutine s’éleva.

Dans la position précaire dans laquelle je me trouvais, je ne pouvais pas voir d’où elle provenait. Je l’entendais parfaitement, en revanche.

« Jeu… »

Quatre restait stoïque, ses étincelantes prunelles vertes fixées sur moi. La bille rouge grossissait à mesure que le golem ouvrait sa gueule. Je ne savais pas ce que c’était, mais je ne comptais pas attendre pour l’apprendre. Coincée contre le grillage, j’allais y passer d’une minute à l’autre. Et Batman aussi, s’il ne se décidait pas à bouger de là. Qu’est-ce qu’il attendait ? Je voulais hurler mais j’étais tétanisée. Ma bouche restait grande ouverte, sous le choc de son apparition, à avaler l’air par goulées.

« … set », continua la voix.

Quand la bille atteignit la taille de sa bouche béante, mon instinct de survie se réveilla. Je devais dégager de là au plus vite. Entre un golem de trois mètres de large prêt à frapper et une brindille qui ne faisait que me fixer avec dédain, mon choix fut vite fait. J’embrasai mes bras, prête à envoyer valser le plus léger des deux comme je l’avais fait sur Azazel, dans l’espoir de me dégager un passage et m’enfuir. Go !

Je me relevai et me jetai sur Quatre, mais à son contact, mon pouvoir s’évanouit instantanément. Au lieu de le projeter au loin, je ne fis que le pousser vaguement, et sans cette résistance attendue, je perdis l’équilibre. Dans l’élan, il bascula en arrière. Et moi avec. Cette chauve-souris des Enfers était aussi légère que Jade. Je ne m’y attendais pas. Quelque chose écorcha mon épaule.

Nous heurtâmes le sol au moment où la sphère rouge sortit du golem, pulvérisant tout dans un rayon mortel. Le souffle de l’explosion nous fit rouler sur plusieurs mètres. Les ailes de Quatre se refermèrent sur nous comme une cosse de protection. Après deux tonneaux, il les déploya et les planta dans le sol.

« … Et merde », grinça la voix enfantine au loin.

Quatre se releva en un éclair et me dévisagea, incrédule. De face, son visage était encore plus terrifiant. Sa peau blanche, ses lèvres bleutées et ses joues creuses lui donnaient l’aspect d’un mort, mais il ressemblait encore à un homme. En revanche, ses pupilles fluorescentes n’avaient rien d’humain.

Le golem se tourna vers nous, la mâchoire pendante et dégoulinante de sable, prêt à remettre ça. Il avança d’un pas. Un seul.

L’instant d’après, Quatre écrasa sa main gigantesque sur sa figure, et serra ses doigts jusqu’à la faire exploser. Le corps du golem retomba en un tas de sable.

Les pupilles de Quatre roulèrent à nouveau vers moi. Pour sauver ma vie, j’avais dû sauver la sienne. Allait-il me rendre la pareille, et me laisser vivre ? Il me considéra un moment, avec cette expression d’étonnement qui ne le lâchait pas, puis s’envola en abaissant brusquement ses ailes.

Je me retrouvai seule dans le parc, le cul dans le sol humide, recouverte de sable. Je tâchai de rassembler mes esprits. Tout s’était déroulé si vite, et pourtant il me semblait évident qu’il était intervenu pour me secourir. Quatre, l’envoyé de Belzebuth. C’était à n’y rien comprendre.

En prenant appui pour me relever, mon bras céda et une douleur aiguë s’invita. Mon épaule était lacérée, tranchée sur tout le long de ma clavicule. Il me fallut un moment pour comprendre que je m’étais joyeusement empalée toute seule sur les griffes de Quatre, dans ma ridicule tentative de le pousser hors de mon chemin.

Je rentrai à la maison en tenant mon épaule, l’esprit confus. Du sang coulait entre mes doigts, j’étais trempée et recouverte de sable. Ça me grattait jusque dans mes sous-vêtements.

La lumière de la télévision illuminait le salon. Je passai la porte en baissant la tête, inquiète à l’idée de me faire rabrouer par Azazel pour être passée par le parc alors qu’il me l’avait expressément défendu.

L’écran diffusait un vieux dessin animé, dont le son se perdait sous les ronflements du chat. Azazel s’était endormi sur le canapé, une patte sur le ventre, un paquet de chips éventré et plusieurs canettes de bière vides étalées autour de lui.

Je montai directement dans la salle de bain. Sous le jet d’eau chaude, je me repassai la scène du parc, ainsi que toutes les fois où j’avais entendu parler de Quatre. Je me souvins que Belzebuth lui avait demandé de me surveiller, donc je pouvais en déduire qu’il n’avait peut-être pas ordre de me tuer. À l’hôpital, je n’y avais pas fait attention à ce moment, mais il me l’avait confirmé. Sauf que ça n’était pas logique.

Belzebuth voulait me voir morte. En quoi envoyer Quatre me sauver de ce golem allait-il dans le sens de son plan ? Il m’envoyait des démons me buter pour ensuite me tirer d’affaire à la dernière seconde ? Il était tordu, mais pas à ce point. Et puis quel intérêt Quatre avait-il à me protéger, lui qui me trouvait si lamentable ?

L’arrivée de l’eau froide me sortit de mes pensées. J’avais vidé le ballon. Jamais je n’aurais pensé me prendre autant la tête à tenter de démêler leurs petits jeux absurdes. Je soupirai. D’un côté, c’était rassurant de savoir que je ne craignais rien face à Quatre. Mais pouvais-je pour autant le considérer comme un allié ?

Ses griffes m’avaient laissé des traces profondes. Je les désinfectai et fis un pansement avec la compresse la plus large que contenait la trousse médicale de Matt.

En sortant de la salle de bain, une tasse de tisane froide, et à moitié renversée plusieurs fois, m’attendait sur la table de chevet. Je me glissai dans les draps, espérant m’endormir vite. Mais le sommeil ne vint pas. Je me retournai dans le lit.

Avait-il eu besoin de me lancer ce « tss » méprisant ? À croire qu’ils s’étaient donné le mot pour me rabaisser à la moindre occasion. Je cognai l’oreiller pour l’attendrir. Quatre était si frêle à côté du colosse de sable. En tombant contre lui, j’avais pu estimer sa taille à un bon deux mètres. Minimum. Je rabattis la couette sur mon visage. Deux mètres de haut pour quarante kilos, mais malgré ça, il lui avait brisé le bras comme un os de poulet. Je sortis un pied de la couette en pestant. Et mes pouvoirs qui s’étaient évaporés, comme ça, sans prévenir, c’était quoi encore cette histoire ? 

Cette perche velue et son regard désapprobateur me tinrent éveillée une bonne partie de la nuit. L’Enfer ou l’insomnie…