Je me réveillai dans mon lit. La couette me recouvrait le visage et avait été balancée en travers. C’était bien le genre d’Azazel de me porter jusqu’ici, puis de jeter la couette sur moi sans délicatesse.
Je m’étirai en repensant à la tournure qu’avait prise la soirée. Après l’incident avec Nola et le départ d’Élise, cela m’avait fait du bien de partager un moment de complicité avec Azazel. Mon échange avec Sërb juste après avait un peu assombri mon moral retrouvé, mais je commençais à avoir l’habitude de ces ascenseurs émotionnels constants.
Leur monde n’était vraiment pas de tout repos et il me tardait de ne plus en faire partie.
En descendant prendre le petit-déjeuner, je tombai sur Azazel, habillé et prêt à partir. Il portait mon kilt sous un gigantesque sweat-shirt noir appartenant à John, et il avait pris le blouson aviateur de Matt. Jamais je n’aurais pensé à associer ces vêtements ensemble. Pourtant, cela lui allait bien. Son corps de mannequin lui permettait de revêtir tout et n’importe quoi. J’en étais presque jalouse.
Quand je lui demandai où il allait ainsi apprêté et parfumé, il sortit de sa poche un collier orné d’une croix. Je ne comprenais pas.
« Pour ta copine Nola, m’informa-t-il en affichant une mine innocente particulièrement suspecte. Je vais le lui apporter pour limiter la propagation de l’infection. Au cas où, tu sais.
— C’est pas ma copine.
— Peu importe. Toi, tu te concentres sur comment élargir tes portails pendant que je m’occupe de régler les détails fâcheux.
— Ça ne te ressemble pas…
— Ça s’appelle gérer les emmerdes pour que tu puisses te concentrer sur l’essentiel et terminer cette histoire au plus vite, c’est tout. Y’a rien d’autre. C’est vrai ! » s’acharna-t-il à se justifier devant mes yeux plissés par les soupçons.
J’avais beaucoup trop de choses en tête pour m’en préoccuper pleinement, mais même au milieu du bordel de la nuit dernière, j’avais remarqué l’attitude de Nola face à lui. Elle avait commencé à lui jouer le même numéro de séduction qu’elle avait servi à Quil.
Même en vomissant ses tripes, après une attaque de démon, elle n’avait pas lâché Azazel des yeux. Restait à savoir si cet ange millénaire allait tomber dans le panneau. Son sourcil tressauta et il se reprit d’une voix forte et pleine d’assurance :
« Je te rappelle que je suis en vacances et pour l’instant, ce n’est pas l’idée que je m’en faisais. On touche au but, non ? Alors, terminons vite cette histoire que je puisse commencer à profiter un peu.
— Je serais curieuse savoir de quelle manière tu comptes profiter de tes vacances… » insistai-je en continuant de plisser les yeux.
Il haussa les épaules et fourra le collier dans sa poche. Il s’apprêtait à passer la porte lorsque je le retins.
« Attends ! J’ai vu Sërb cette nuit. Il m’a dit de ne pas faire confiance à Gabriel. »
Azazel sembla surpris. Je lui demandai pourquoi.
« C’est pas un méchant gars, Gaby. Il est juste… Disons qu’il n’a pas évolué. Il est resté coincé sur l’idée du grand et magnifique Elohim, de ses anges qui doivent lui obéir à la lettre en dépit du bon sens, et de nous, les grands méchants qui avons osé remettre en doute ses directives. Après, si Sërb a dit de t’en méfier, suis son conseil. »
Voyant que je cogitais, il vint me tapoter le crâne.
« Te prends pas la tête là-dessus, va. Si ça te rassure, je ne laisserais plus Gabriel t’approcher, OK ? Allez, je file. À ce soir ! »
Il passa la porte en me saluant de la main.
Au lieu de m’atteler à mes entraînements de portails, je profitai de son absence pour faire quelques recherches sur les célestes. Si Sërb m’avait mise en garde contre Gabriel et son supérieur Michael, il s’était montré plus optimiste en ce qui concernait les autres. L’idée d’Élise méritait d’être testée. Avec un peu de chance, j’aurais de nouveaux alliés sur lesquels me reposer.
Je ressortis les livres de Roberta. Jusqu’à présent, j’avais laissé de côté les ouvrages dévots, mais cette fois-ci, j’en avais besoin. Il me fallait contacter un céleste pour arriver à joindre Uriel, l’autre gardien. Il était enchaîné à la porte de Sion, c’est vrai, mais il aurait peut-être une idée. Et à ce stade, sans portails parfaits et avec un problème gastrique handicapant, tout conseil était bon à prendre.
Ouvrant le premier livre d’une lourde pile, je me lançai à la recherche de célestes proches d’Uriel. Évidemment, aucune mention des relations entre les anges n’était décrite. Tous ces livres, de la Bible aux écrits apocryphes, se concentraient uniquement sur Elohim et son fils. Les anges n’étaient que des valets sans volonté propre, des soldats, ou des messagers à son service. Sion semblait bien différente des Enfers.
Une heure plus tard, j’avais perdu espoir. Je ne trouvais rien. Je décidai de faire une pause, avec un thé chaud et réconfortant. Sur le buffet en bas des escaliers, l’épais Lemegeton Calvicula Salomonis & Pseudomonarchia Daemonia dépassait. Je feuilletai la première partie d’un air distrait, ma tasse à la main, quand je tombai enfin sur une piste intéressante. En fin d’ouvrage se trouvait une liste d’anges et de démons, ainsi que leurs invocations. Malheureusement, c’était aussi aberrant qu’inexact. Maintenant, je le savais. Les noms des célestes finissaient tous en – el ou – iel, et les soi-disant démons étaient en fait les anges déchus. Le Roi Salomon avait mal été renseigné.
J’ouvris la partie Pseudomonarchia Daemonium, sorte de dictionnaire de la hiérarchie infernale,pour comparer. Azaziel y était décrit comme un « ange déchu après s’être révolté contre Dieu, qui enseigna aux hommes à faire des épées, et l’art de se peindre les sourcils, de sorte que le monde fut corrompu ». Cela lui ressemblait bien, en fait. Je l’imaginais, ivre, donner des cours de maquillage comme dans les tutos make-up actuels et me mis à rire. Dans la description de Belzebuth, Seigneur des mouches, il était écrit « il se rit de tout le monde, mais est facilement sujet à la colère ». Je ne pouvais qu’approuver.
Reprenant la première partie du Lemegeton, je parcourus les méthodes d’invocations des anges. Il s’agissait surtout de prières longues comme un ticket de caisse de Costco. Cependant, dans la liste des anges, le nom de Xamiel, ange de l’amitié immédiate et de la divination aléatoire et approximative, me fit rire. La prière d’invocation étant particulièrement simple, je décidai de tenter l’expérience. Si je devais contacter quelqu’un dans l’autre camp en suivant mon instinct, cet ange-là me semblait tout indiqué pour une première approche.
Je m’installai sur la table basse, allumai une chandelle blanche et récitai la prière avec application, mais rien ne se produisit. Comment avais-je pu penser qu’un livre vieux de cinq siècles écrit sous LSD pouvait être utile ? Par respect envers Élise, je fis une nouvelle tentative. Infructueuse, encore. Je perdis patience et soufflai la bougie quand mon téléphone sonna. C’était Max.
« Oui ? fit-elle
— Quoi “ oui ” ? C’est toi qui m’appelles.
— … Ah ? Ah d’accord. J’ai retrouvé ton carnet, mais c’est pas moi qui l’ai. Donc tu le récupéreras toi-même. Mais pas tout de suite. De toute façon, ça n’a plus d’importance : Éros s’en est déjà occupé et il a de grands projets pour vous deux.
— … heu…
— Pour répondre à la question que tu ne te poses pas encore, je te suggère d’aller de l’autre côté pour vérifier.
— … Vérifier si mon carnet est de l’autre côté ? tentai-je de suivre son délire particulièrement alambiqué.
— Non, vérifier si Élise s’y trouve. Elle a disparu depuis hier soir et le ciseau d’Atropos a retenti dans le silence funeste de la nuit. Morte, traduisit-elle.
— Élise n’est pas morte, m’étranglai-je. Ne dis pas n’importe quoi ! Elle a parlé à Gabriel après la soirée, c’est sûr qu’elle va bien. Comment peux-tu…
— Nola a un pied dedans, et pas le bon, me coupa-t-elle, ce n’est qu’une question de temps. Reconsidère, et vérifie. Ça ne coûte rien. N’embrasse pas Lucifer au passage. Je dois te laisser, Jade m’attend. La bise à la barbe à papa ! » lança-t-elle juste avant de raccrocher.
Je ne savais pas quoi penser de cet échange. Max était toujours à côté de ses pompes. Elle l’avait toujours été. Mais cette fois, un doute infâme m’envahit. Elle n’aurait jamais imaginé un truc pareil concernant Élise. Elle l’appréciait bien trop pour ça. Je devais aller dans les Enfers pour vérifier.
Sans perdre une minute de plus, je courus à la salle de bain fouiller dans les médicaments pour prendre un somnifère. J’en avalai deux sans réfléchir. Ils ne mirent pas longtemps à agir. Moins de cinq minutes plus tard, un coton dense entourait mon cerveau, pressant sur ma boite crânienne, et mes jambes ne me portaient plus. Je réussis tant bien que mal à atteindre mon lit. Je grimpai dessus en tirant sur mes bras mous, et sombrai à peine la tête posée sur l’oreiller.
Je me réveillai dans la clairière sur une haute branche, et m’écrasai au sol en un paquet de vapeur devant les regards pantois de Sërb et de Lucifer. Mon corps chatoyait, mi-brume, mi-chair, aussi inconsistant qu’incohérent, mais mon esprit, lui, était parfaitement éveillé. J’étais trop affolée pour arriver à contrôler quoi que ce soit. Je déparai dans la boue en essayant de me relever. Lucifer vint m’aider. Il tenta de m’attraper par le bras, mais mon corps se désincarna brusquement, l’empêchant de me toucher. Il recommença, avec le même effet.
« Calme-toi, voyons, s’impatienta-t-il. Que s’est-il passé pour te mettre dans un tel état ?
— Élise ! m’écriai-je en me débattant pour me redresser. Élise Montgomery ! Est-ce qu’elle est ici ? Est-ce qu’elle est… ? »
Je ne parvenais même pas à prononcer ce mot à voix haute : morte. Ça ne pouvait pas être vrai, ça ne se pouvait pas. Elle était encore vivante et en parfaite santé quelques heures auparavant. Elle ne pouvait pas être morte. Mes jambes tremblaient et j’avais du mal à reprendre haleine.
« C’est mon amie, soufflai-je. Je dois vérifier qu’elle va bien et qu’elle n’est pas… ici.
— Quand serait-ce arrivé ? demanda Sërb de sa voix la plus douce.
— Hier soir, dans la nuit, je crois. Je ne sais pas. Aidez-moi… »
Il leva la tête vers Lucifer et fronça les sourcils.
« Accompagne-la au bord du fleuve. »
Lucifer acquiesça et m’invita à le suivre. Une fois le portail d’or passé, nous empruntâmes le même chemin que la dernière fois. Voyant que je n’arrivai pas à avancer à cause de cette panique que je n’arrivais pas à dompter, il me tendit la main pour m’aider à gravir l’escalier escarpé. Je la pris et la serra fermement. Je ne voulais pas risquer de le lâcher. Il parut surpris, et quelque peu mal à l’aise, mais resserra lui aussi sa poigne. Les marches de pierre, recouvertes de feuilles et de mousses, étaient glissantes.
Accrochée à sa main, je progressai tout en me baissant pour ne pas me prendre les branches dans la figure. Ses doigts froids autour des miens étaient mon guide vers le fleuve du Styx, par lequel arrivaient les âmes mortelles. Le chemin était long et ardu, je ne l’avais pas oublié. Il fallait que je fasse attention où je posais mes pieds. Pourtant, mon esprit était ailleurs, perdu loin dans mes souvenirs.
Lors de mon arrivée dans cette ville, ma mère m’avait emmenée dans la salle polyvalente, pour un évènement qui présentait toutes les activités extrascolaires disponibles. C’est à cette occasion que j’avais rencontré Élise.
Devant le stand de danse classique, elle distribuait des prospectus pour l’école de sa mère. Sa beauté irradiait. Un mètre soixante, une taille de guêpe gainée dans une robe blanche à volants, d’une grâce peu commune, avec des cheveux roux aux ondulations de sirène qui étaient pure ambroisie pour mes yeux. Ses prunelles vertes, son nez rond au-dessus de lèvres pulpeuses, surplombées de pommettes hautes, m’avaient laissée sans voix. Elle était bien trop belle pour une simple humaine.
Ma mère m’avait poussée à aller lui parler, mais je n’avais pas envie de me lier à un ange pareil. Nous n’avions rien en commun. Je me trouvais d’une banalité exaspérante à côté d’elle. Pourtant, lorsqu’elle répondit froidement à un garçon qui se moquait des photos encadrées, en l’invitant à aller se faire sonder le postérieur par un obus de la Seconde Guerre mondiale avant de lui jeter la pancarte de l’école en pleine figure, je sus que nous nous entendrions bien. Je m’étais présentée à leur comptoir, mal à l’aise. Son sourire avait terminé de me conquérir. Élise était profondément gentille et d’une patience à toute épreuve. Elle avait vite compris que je venais d’arriver en ville et que je ne connaissais personne.
Je manquai une marche. Lucifer tira vivement sur mon bras, m’empêchant de m’écraser. Je le remerciai d’un geste de la tête, avant de reprendre la marche.
Élise ne pouvait pas mourir. C’était elle qui m’avait présenté Sasha, Max et Jade. Elle était le socle fondateur de notre groupe. Son cœur battant.
Arrivée à la percée qui dévoilait l’étendue des Enfers, Lucifer m’entraîna le long de la montagne. Je le suivis sur un chemin fait de pierres qui sortaient de la roche verticale et qui formaient un sentier à peine praticable. Il avançait d’un pas léger alors que mes pieds tenaient en équilibre sur les pierres qui menaçaient de tomber à tout moment. Je savais que je ne risquais rien, que seul mon esprit était ici et que, si je le voulais, je pouvais voler. Mais la panique qui me rongeait m’empêchait d’en faire usage. Je m’agrippai plus fort à sa main.
Je ne savais pas où nous allions, et ne posai aucune question. Je me contentai de le suivre docilement. Je ne pensais qu’à Élise. Le sentier déboucha sur un promontoire exigu de quelques pas de large. On entendait de l’eau ruisseler en contrebas. Lucifer resserra sa prise autour de ma main alors que nous nous approchions du bord. Je me penchai. En dessous de ce balcon sans garde-corps coulait le fleuve du Styx. Il était aussi sombre qu’un ciel sans étoiles. Je guettai les eaux, j’en scrutai chaque recoin. Des méduses lumineuses voguaient en ballet, illuminant de leur danse l’eau trouble.
Une barque sortit de l’ombre d’un pin. Un vieil homme encapuchonné poussait sur une tige pour faire avancer l’embarcation, en chantant une mélopée. Sur la dernière planche de bois était assise une jeune femme. Sa longue chevelure rousse formait une cascade sur une robe blanche qui recouvrait les bords de la barque et tombait dans l’eau avec délicatesse.
Mes yeux inspectèrent cette silhouette. Ça ne pouvait pas être elle. Ses cheveux n’étaient pas aussi longs, ni aussi brillants. Ceux-ci descendaient loin sur les plis de sa robe, et scintillaient comme une étoffe de soie en plein soleil. Pourtant, lorsqu’elle tourna la tête, le regard perdu dans ce monde étranger, je la reconnus. Mon cri déchira mon âme en deux.
« ÉLISE ! »
Lucifer me tira en arrière alors que je hurlai son nom sans relâche. Il me colla contre lui et entoura mon corps tremblant de ses bras pour étouffer mes cris.
« Je suis désolé », murmura-t-il à mon oreille.
Je rejetai sa sollicitude et tentai de me dégager. Il me relâcha et mes jambes se dérobèrent. Mes pieds reculèrent jusqu’au bord du précipice. J’étais sur le point de basculer lorsque Lucifer me rattrapa in extremis, et me ramena contre lui d’un geste vif. Prenant ma tête entre ses mains, il plongea ses prunelles sombres dans les miennes. Le souffle court, je sentais mes yeux s’emplir de larmes.
« Je suis désolé », répéta-t-il.
Ses mots me faisaient mal. Je ressentais chaque battement de mon cœur être réduit peu à peu au silence. Il pressa ses doigts contre ma nuque et se pencha sur moi.
Je me redressai d’un bond dans mon lit, haletante et en sueur. Ma chambre était plongée dans le noir. La nuit était tombée.
Ma tête allait exploser. Mon cœur était crispé dans ma poitrine, je ne pouvais plus respirer. J’avais besoin d’air. Je dévalai les escaliers, une main sur le cœur, les yeux débordants de larmes. Il me fallait de l’air. Je courus en arrivant à la cuisine, dérapai sur le buffet et traversai le salon jusqu’à la porte. De l’air ! La porte s’ouvrit avec fracas.
Dehors, il pleuvait à torrents. Le jardin était plongé dans le noir. Aucun lampadaire n’était allumé. La pluie tombait comme un rideau, assourdissant tout autre bruit. On n’entendait plus que le bruissement infâme de l’eau retomber sur la terre imbibée, rebondir sur le béton, ou résonner dans la gouttière de métal. Ce bruit me rappelait celui de la cascade. J’en tombai à genoux.
Élise…
Un coup de tonnerre stria le ciel, révélant les spectres par centaines dans le jardin. Ils regardaient dans ma direction, impassibles, alors que mon cœur était sur le point de lâcher. Mes larmes s’échappaient de mes yeux en deux rivières intarissables. Les murmures s’élevèrent. Je ne pus plus le supporter. Dérapant sur le bois mouillé, je traversai le sceau et me ruai sur eux.
« Cassez-vous ! Tous ! Allez-vous-en ! » criai-je en illuminant mes bras.
Je battais des mains dans le vide, passant au travers de leurs corps. Sur chacun d’eux, mon esprit affichait le visage d’Élise. Il me sembla recevoir une lance en pleine poitrine.
Élise…
Mes bras s’illuminèrent à nouveau. Je voulais que ça cesse. Je voulais que cette douleur infâme cesse. J’essayai de les attraper, de les brûler s’il le fallait, pourvu qu’ils disparaissent. Je ne pouvais plus voir leurs visages qui me regardaient comme un chiot perdu.
Pas Élise, non, pas elle…
Les symboles diminuaient sur mes bras à mesure que je m’acharnais sur ces êtres éthérés. Les spectres se rassemblèrent autour de moi alors que mes joues ruisselaient de pluie mêlée à mes larmes.
Elle s’était pourtant éloignée de ma vie, alors pourquoi ? Pourquoi ?!
« Mais barrez-vous, putain ! »
L’un d’eux se dissocia du groupe et s’approcha de moi. Son visage était flou, déformé par une tristesse et une compassion que je ne pus supporter. Je concentrai toute mon énergie dans une ultime tentative. Je voulais qu’il disparaisse, lui et son visage aux abois. Le dernier symbole disparut au moment où ma main rencontra sa gorge.
« Ah AH ! Je t’ai eu ! »
La brume se retira, et je vis que la tête tranchée du démon rouge se trouvait entre mes doigts. Dissimulé parmi la masse éthérée du spectre, je ne l’avais pas vu. Mes doigts perdirent leur lumière, retrouvant leur aspect de chair, ce beige humain, vivant et immonde, tandis que son poing disproportionné me frappait en pleine figure. L’arête de mon nez se brisa. Je sentis le vent, puis le choc lourd de mon corps retombant sur l’herbe détrempée par la pluie.