Ap 13 : « En voilà une bien vilaine jeune fille ! « 
Ap 13 : « En voilà une bien vilaine jeune fille ! « 

Ap 13 : « En voilà une bien vilaine jeune fille ! « 

Baël ouvrit une porte dans le décor. Je le suivis à travers le dédale de couloirs de l’hôtel. Je restai à bonne distance pour éviter de me prendre un coup de queue par inadvertance.  Elle était pourvue de pics et déchirait la moquette et le papier peint sur son passage. Baël marchait vite, en se dandinant. Je trottais derrière, ma queue de cheval battant la mesure.

Le papier peint gris à motif d’écailles art déco remontait jusqu’au plafond. Sur les murs, les appliques en forme d’éventail apportaient une douce atmosphère lumineuse. Cela me rassura de ne pas retrouver la forêt équatoriale, ou pire, les portes infinies. La forme hôtelière du niveau quatre était la plus agréable. En revanche, elle sentait un peu trop fort la rose, comme si une vieille femme s’était parfumée à outrance avant de sortir rejoindre son amant.

Baël tourna à gauche et entra dans une chambre. La porte en acajou s’ouvrit vers l’intérieur, et je lus sur la plaque en laiton l’inscription « privé ». Je me demandai s’il avait remplacé la plaque manquante pour indiquer la salle des archives. Des semaines auparavant, ça m’aurait été bénéfique.

La suite en moquette bordeaux était constituée de deux grandes pièces. Dans la pièce principale étaient empilés sur une large table des dizaines d’écrans d’ordinateur. L’un des pieds était soutenu par un épais livre jaune. Le bottin des Enfers. J’en avais désormais un exemplaire tout aussi inutile chez moi. Je jetai un coup d’œil dans la pièce d’à côté : les écrans étaient posés à même le sol et grimpaient jusqu’au plafond, dans un monticule instable.

La suite était un bordel sans nom. Au sol, les fils s’enchevêtraient. Ils remontaient le long des murs et serpentaient entre les écrans. Les fils dénudés et mâchouillés s’entremêlaient autour d’écrans cassés, de morceaux de verre brisés et d’une pile de tasse à café sale. Certains lâchaient des étincelles électriques. Une console à laquelle il manquait des touches était posée sur l’avant de ce bureau.

Baël tira un tabouret, releva sa queue, et s’installa à son poste. Les écrans s’allumèrent les uns après les autres dans une chaîne de crépitements. Chaque écran se divisait en minuscules petits carrés où l’on observait, en noir et blanc, les âmes damnées subir leur châtiment. Puis il actionna une molette et une des images s’afficha en grand. Je me vis debout devant Quatre, proche de lui caresser le visage. Pourquoi avais-je voulu faire un truc pareil ?

Baël souffla en se plaignant du fait qu’il aimerait bien prendre une pause de temps à autre, et poussa sur une manette. Les images accélérèrent. Il recherchait le moment où Amon était intervenu. Restée en arrière, je scannai la pièce. Il fallait que je trouve un moyen pour gagner du temps. Les fils électriques remontaient sur une multiprise, branchée elle-même à une multiprise, branchée sur un enrouleur, puis sur une autre multiprise. Au bout, un des câbles était raccordé à une prise murale. Je reculai d’un pas, posai mon pied dessus et le fis glisser. 

La prise sortit légèrement de son attache, juste assez pour rester visuellement enclenchée. Par contre, cela éteignit plusieurs écrans. Pas le mien, hélas.

« PUTAIN PAS ENCORE ! » hurla le crocodile en se redressant.

Il commença à taper sur les écrans. Il en brisa un, et des éclats de verre et de plastique volèrent dans tous les sens. La tête de Baël tourna d’un coup sec et se changea en crapaud. Une touffe de plantes tropicales surgit entre les écrans.

« Attendez, attendez, je vais vous réparer ça, m’interposai-je de ma voix la plus douce et rassurante. Et mettre de l’ordre.

— Tu sais… faire ça ? bava-t-il.

— Je suis pleine de ressources. L’électricité, ce n’est pas bien compliqué mais ça prend du temps par contre. »

Sasha m’avait montré comment monter un système électrique lors des concerts de Jackson et son groupe. Je me sentais capable de mettre de l’ordre là-dedans. Baël grommela, fouilla sous un tas de papiers, fit tomber une tasse, puis me tendit un tournevis.

« Le temps n’est pas un problème ici. Besoin d’autre chose ? 

— Une gaine pour rassembler les fils, d’un rouleau adhésif isolant… deux, rectifiai-je après un rapide calcul, de nouvelles multiprises et d’un deuxième enrouleur. »

S’il semblait ravi que je l’aide, il maugréa quand je demandai à éteindre tous les écrans. D’autres touffes de verdures proliférèrent brusquement sur le bureau et les murs. Je n’avais pas envie de me retrouver à braver les fougères humides en ayant des fils électriques dans les mains. Je lui servis sourire sur sourire pour tenter de limiter ses sautes d’humeur tout en lui expliquant que c’était pour éviter d’autres problèmes. Il était contre cette pause forcée, mais il finit par accepter.

Sans perdre plus de temps, je m’attelai à ma tâche. Alors que je vérifiais les fils et les réparais, Baël tourna sur le tabouret en soufflant. Il n’avait pas l’air d’avoir l’habitude de ne rien faire. Puis il se mit à parler.

Il se plaignit de son boulot, expliquant qu’avant que le commandement de Belzebuth ne prenne des allures de « règne managérial plus proche d’un système pyramidal que d’une vraie structure », ils étaient plusieurs à travailler ici. Aujourd’hui, seul responsable de ce niveau, il n’avait plus le temps de s’occuper d’autre chose que des châtiments. Il bossait sur le fil du rasoir et était toujours en retard.

« C’est pas facile tous les jours, soupira-t-il.

— Je vais bientôt avoir un poste en Érèbe. À la porte principale, précisai-je.

Ah, c’est donc toi notre futur cerbère. Vu que tu es ici, je comprends mieux pourquoi tout est bloqué. Oh, rassure-toi, je ne m’en plains pas. Ça me permet de souffler un peu et de rattraper mon retard en attendant d’avoir de nouvelles entrées. Tu n’imagines pas l’usine à gaz que c’est de traiter toutes ces âmes. Et mal dirigé, c’est devenu un enfer, même pour nous ! »

Il laissa échapper un rire sans joie. Je posai la gaine contre le mur et me glissai sous le bureau pour y ranger les fils. Tout en lui demandant de me faire passer les multiprises, je repris la conversation en main.

« Une fois que je serais en poste, on pourrait peut-être voir à accorder nos… heu… emplois du temps ? Histoire que vous puissiez faire une pause, de temps en temps.

— Ce serait une idée, en effet », dit-il lentement, avec une suspicion évidente dans la voix.

Je rebranchai tous les écrans en rythme sans relever. Une goutte de sueur coula le long de mon dos, pourtant, je ne pouvais pas m’arrêter là.

« C’est impressionnant le boulot que vous abattez à vous tout seul. Je ne comprends pas que vous n’ayez pas toute une équipe pour vous seconder, ajoutai-je innocemment, en espérant que cette tactique fonctionne avec lui.

Je sais ! s’écria-t-il. C’est ce que je me tue à lui dire ! Ce niveau ne peut pas se gérer tout seul ! Mais pour lui ce n’est pas prioritaire. Cet imbé… le commandant est trop occupé pour s’en occuper. Donc je continue à tout faire tout seul ! Et mon burn-out[1], alors là, n’en parlons même pas ! Je suis à ça de péter un câble et il le sait !

— Ouais, il n’a aucune empathie.

— N’est-ce pas ?

— Après, vu que sans moi… toute la machine est bloquée, je pourrais sûrement insister pour changer ça. Pour que vous ayez une équipe et que vous puissiez travailler en toute sérénité. »

Il leva un sourcil. Je déglutis lentement. S’il comprenait mon petit jeu, j’étais morte.

« Ce serait bien, en effet, dit-il après une pause. Tu sais, j’ai été surpris de la demande de Belzebuth te concernant. Il a rempli les papiers avec tous les justificatifs et l’échantillon requis, dans les règles. Ce n’est pas son style. Il est vraiment énervé contre toi.

— Il veut quelque chose que je refuse de lui donner. J’ai fini », dis-je en connectant le dernier écran.

Son expression se fit étonnée, puis la curiosité brilla dans ses yeux globuleux.

« Oh, vraiment ? Tu lui tiens tête, toi, une simple humaine ? Voilà qui est pour le moins… exceptionnel », dit-il d’une voix brusquement aiguë.

Sa tête fit un tour complet, et celle d’un énorme chat apparut à la place. Je déglutis. Il descendit de son siège et sauta sur la moquette, les quatre pattes écartées. Ses pupilles verticales brillaient dans l’obscurité. Sa queue monstrueuse battait l’air comme s’il était sur le point d’attaquer. Je reculai sur les mains alors qu’il s’avançait avec un sourire carnassier.

« Tu joues avec lui ! SOURIS SOURIS, TU JOUES, TU JOUES ! » rit-il en rampant un peu plus vers moi.

Je me retrouvai acculée contre le mur, les jambes repliées, prête à lui donner un coup.

« Ahah ! En voilà une bien vilaine jeune fille ! Comme ce doit être amusant de voir ce sale matamore[2] se décomposer devant toi. Il est coincé ! COINCÉ ! Tu sais quoi ? Nous allons t’aider ! Nous aimons beaucoup le faire chier. Oh oui ! Nous serons de ton côté pour le faire chier ! »

Ses moustaches frétillaient.

« Mais avant ça… »

Il s’extirpa de sous le bureau. Il y eut un bruit de feuilles, puis il réapparut avec sa tête humaine et me tendit un papier jaune ainsi qu’un stylo.

« Il faudrait que tu signes le formulaire LC-4.1s pour valider ton stage. Je clôture ton programme. Après ça, dit-il alors que je lui tendais la feuille signée à la va-vite, tu peux disposer. Je dois mettre les programmes à jour, vérifier que tout est en ordre, avant que tu puisses réintégrer ta cellule.

— Je peux… partir ? 

— Pas trop loin non plus. Pourquoi ne pas aller visiter Babylone pour patienter ? Je ne peux pas jouer les guides, mais je suis sûr que…

— Oui ! m’écriai-je. Babylone, c’est parfait ! Vous n’avez qu’à me dire comment y aller !

— Par cette porte, dit-il en indiquant une poignée dissimulée dans la tapisserie. J’en déduis que tu t’y es déjà aventurée ? J’apprécie beaucoup les bas-fonds, et ton enthousiasme… »

Il sourit. Ses fossettes remontèrent les poches sous ses yeux.

« … est agréable à voir. Tu as du temps devant toi, mais ne traîne pas : le chemin est long jusqu’à la ville.

— D’accord ! Merci ! Merci beaucoup ! »

Je ressortis de sous le bureau et rebranchai la prise avant de me diriger vers la porte. Baël me remercia pour mon aide. Je fis plusieurs révérences inutiles, et sortis. Quand la porte fut fermée, je soufflai. Les larmes me montèrent aux yeux.

Je n’arrivais pas à le croire : j’avais réussi. Baël était de mon côté. Baël, Paimon, Stolas, et Lucifer. Je venais d’obtenir quatre votes en ma faveur, contre quatre en faveur de Belzebuth. Si Astaroth se mettait de mon côté, je gagnais. Ou mieux : si Quatre ne votait pas, je gagnais. Lucifer n’étant pas sûr pour Astaroth, il ne restait qu’une possibilité. Je pris une grande inspiration. Je pouvais le faire.

Il était hors de question de perdre à la dernière seconde. Pas cette fois.

Remontée à bloc, je marchai jusqu’à deux poteaux de bois. Le chemin s’arrêtait là. Je m’avançai avec prudence au bord. Devant un des poteaux, un panneau en forme de flèche pointait vers une lourde corde qui se terminait en pompon.

Puis, des torches s’embrasèrent, illuminant un pont suspendu en bois. Il menait à une plateforme. Il était pourvu de deux cordes qui avaient dû servir de rambarde avant que le pont ne s’affaisse sous le poids du crocodile géant. À présent, il n’y avait plus rien pour se tenir. Je n’aimais pas ça.

Je plissai les yeux. Au loin, une porte en fer moderne, fermée par une barre métallique, était surplombée d’une applique rouge où il était écrit « sortie ». Je ne risquais pas de me perdre cette fois. Le problème était d’y accéder.

Je crus entendre le bruissement des ailes de Quatre. Je tendis l’oreille, mais n’entendit rien d’autre que des murmures lointains et un étrange crépitement.

Les ongles plantés dans le poteau, je me penchai. Le pont suspendu flottait mollement au-dessus d’un gouffre de flammes. Des âmes s’y débattaient en hurlant. Les Enfers s’étaient peut-être modernisés sous les ordres d’Astaroth, mais ils avaient conservé certains vestiges.

Je posai un pied sur la première planche qui glissa le long des cordes. Je retirai mon pied. Comment étais-je censée traverser ?

J’essayai de me tenir à la corde, mais elle était tout aussi molle. Les planches n’étaient pas fixées aux câbles, simplement enfilées comme des perles sur un fil lâche. Dès que je mettais un pied dessus, celles-ci glissaient pour rejoindre les autres. Réfléchis, Persy ! C’était un passage d’acrobranche. Il y avait forcément un moyen de le franchir sans tomber.

Privilégiant la plus extrême des prudences, je m’allongeai. Le traverser en rampant semblait être la meilleure option. Mon poids était mieux réparti.

Les planches glissèrent en même temps que moi, mais j’avais assez d’appui. Je transpirais à grosses gouttes. La redingote gênait mes mouvements. Plus je progressais, moins j’étais sure de mon coup. Quand mes pieds quittèrent la plateforme stable, le doute céda sa place à une panique grandissante.

Un autre bruissement s’éleva. Quatre était là. Je relevai la tête pour le chercher, et perdis l’équilibre. La planche devant moi glissa plus loin. Je me retrouvai allongée sur cinq morceaux de bois, sans possibilité d’avancer ni de reculer.

Tant pis pour mon égo.

« Quatre ! appelai-je. Un coup de main, là, tout de suite, ne serait pas de refus. Je sais que tu es là », ajoutai-je.

Je l’entendis se poser derrière. Ses serres se plantèrent dans la roche. Une interminable minute passa sans qu’il ne bouge.

« S’il te plaît ? »

Le pont se mit à tanguer. Je retins mon souffle, puis sentis sa main m’agripper par le col. Il me souleva tel un chaton et me ramena en sécurité sur la terre ferme.

« Tu aurais pu intervenir avant que je me retrouve coincée, maugréai-je.

— Il est des choses que tu dois apprendre par toi-même si tu veux survivre ici. »

Je lui lançai un regard irrité. Il agissait comme sur le chemin du lac de sel, quand il m’avait ordonné, ou conseillé, de courir. Je soufflai. Si j’appréciais la pédagogie, la manière de faire, elle, était à revoir.

« Merci, dis-je à contrecœur, mais je te rappelle que je ne viens pas de ce monde. Tu ne peux pas attendre de moi que je devine comment les choses fonctionnent ici, et… »

Il prit le pompon de corde entre les doigts et tira dessus. La corde tendit le pont. Il était à présent une longue passerelle de bois, une structure droite et robuste, avec deux cordes de sécurité de chaque côté. Le système n’avait rien d’infernal. C’était même ingénieux.

« Comment… Comment pouvais-je savoir ?

— Savoir quoi ? Que quitter le labyrinthe ne pouvait pas être aussi simple, et qu’il y avait forcément un piège pour éviter aux âmes torturées de s’en échapper ? Ou que la flèche indiquait de tirer sur la corde ? » déclama-t-il d’un ton condescendant qui fit mouche.

Je croisai les bras sur ma poitrine. Est-ce que j’avais du temps à perdre à bouder ? Non. Est-ce que je le pris quand même ? Oui. Je voulais qu’il lise dans mon regard à quel point il m’exaspérait.

« On ne peut apprendre sans y être confronté, insista-t-il en m’invitant à traverser.

— Je ne suis pas d’accord, commençai-je tout en avançant à ses côtés sur le pont. On peut utiliser l’expérience des autres. C’est pour ça qu’on enseigne le passé. Pour éviter qu’il se répète. Un homme averti en vaut deux. C’est une expression, précisai-je en voyant qu’il ne comprenait pas. Peu importe. Je vais à Babylone. »

Devant la porte, j’eus un doute. Cette applique rouge lumineuse était trop évidente, trop facile.

« Et tu… heu… Tu m’accompagnes, ajoutai-je en lui prenant la main.

— Je ne suis pas le bienvenu là-bas, femme. »

Je fis mine de n’avoir rien entendu et continuai à tirer sur son bras. Il me suivit, étonnamment docile.

La porte s’ouvrit sur un promontoire sécurisé par une balustrade de pierre qui tombait en morceaux et ne tenait plus que sur un côté. Je levai la tête : nous étions dans une grotte à la taille déraisonnable. Au loin s’étendait une ville à l’éclairage alternatif, faite de buildings qui grimpaient jusqu’au plafond. Ils se dressaient en biais tels des colonnes de quartz noir, ou d’obsidienne translucide. Babylone.

Je m’avançai au bord du balcon et découvris un escalier en colimaçon. Je me penchai un peu plus et mes doigts se figèrent sur le rebord brisé. Une brise humide souffla dans mes cheveux. Il était haut de plusieurs dizaines, non, centaines d’étages. J’en eus le vertige. Je reculai, mal à l’aise.

Vu le nombre de marches, je pouvais passer les six prochains mois de ma vie à les descendre. Ensuite, il me faudrait marcher jusqu’à la ville et déjà, à cette altitude, elle paraissait se situer à plusieurs kilomètres de là. Non. Je pris une grande inspiration et me retournai vers Quatre.

« Est-ce que tu pourrais m’aider à rejoindre la ville ? C’est… haut. Et loin. Alors que d’un coup d’aile, on y serait déjà. Je… »

Il pencha la tête sur le côté pour toute réponse. J’attendis patiemment, mais mon cœur commençait à accélérer. Quatre redressa la tête et fit un pas vers moi. Ses yeux se mirent à briller. Instinctivement, je reculai.

« Tu sais quoi ? J’ai changé d’avis. On peut aussi marcher. »

Il continua d’avancer, immuable, et moi, de reculer. Arrivé au bord du balcon sans rambarde, mon talon rencontra le vide. Je jetai un coup d’œil en arrière. Une goutte de sueur coula le long de ma colonne et je me sentis mal.

« Je vais marcher. Ça ne me dérange pas en fait. »

C’est alors qu’il déploya ses ailes. Mon cœur eut un sursaut. Il tendit un doigt vers moi et, du bout de sa griffe, me poussa. Je basculai dans le vide en hurlant.

Quatre plongea à ma suite. Il me rattrapa dans ses bras, coupant net mon hurlement. Quand sa main se plaqua derrière mon crâne pour me protéger, j’enroulai mes bras autour de son torse et fermai les yeux.

Il se pencha et sa descente s’accéléra, mais ainsi enserrée entre ses bras, la peur s’évanouit. Le contact de sa peau chaude et le gonflement régulier de sa respiration avaient quelque chose d’apaisant. Il était calme, comme toujours. Peu à peu, je me calmai à mon tour. Pourquoi avais-je paniqué ? La surprise, peut-être, et le souvenir de notre premier vol ensemble, au-dessus de l’hôpital.

Il fit claquer ses ailes pour amorcer l’atterrissage, et je resserrai ma prise autour de lui. Nous filâmes à l’horizontale, portés par la vitesse. J’ouvris les yeux. C’était plutôt agréable en fait. Je ne risquais rien. Il y veillait. Les néons roses et bleus de la ville se reflétaient sur son torse blanc.

Il claqua à nouveau des ailes pour se poser, rompant le calme de ce voyage. Je me détachai de lui et secouai les épaules. La peur avait peut-être disparue, mais mes bras, eux, étaient restés crispés autour de lui.

La ville était encerclée par un haut mur noir. Nous marchâmes un moment le long. Sa surface miroitait comme une tache d’huile sur le goudron. C’était comme si un sceau de protection y avait été apposé.

« Par là », dit Quatre en m’indiquant une porte dérobée.

Une lucarne grésillait au-dessus d’un carré vitré. Je me hissai sur la pointe des pieds et pouffai. Dans cette salle illuminée par des néons blancs, on pouvait y voir une rangée de machine de sport dernier cri.

« Tu penses qu’ils sont… », dis-je en me retournant.

Quatre était parti.

« … là-dedans. »

[1] Le burn-out est un état de fatigue intense et de grande détresse causé par le stress au travail. On parle d’épuisement professionnel.

[2] Matamore : personnage typique de la comédie espagnole. Vantard et fanfaron mais plus courageux en paroles qu’en actes, le matamore est une parodie de l’héroïsme militaire.