Ap 18 : « Le Conseil a voté »
Ap 18 : « Le Conseil a voté »

Ap 18 : « Le Conseil a voté »

Avertissement : tentative d’agression sexuelle
(Désolé pour le spoil, mais vu le sujet, il est plus sage de prévenir.
Bonne lecture quand même!)

Ils entrèrent un par un. Stolas fut le premier à prendre place sur son siège, le plus éloigné de nous. Quand Baël le rejoignit pour s’asseoir à côté de lui, le Roi se pencha et me chuchota :

« Je te demanderais de tenir secret mon statut de gardien. Personne n’est au courant. Les opinions sur notre espèce sont loin d’être positives, et je ne voudrais pas créer de conflits inutiles à la veille d’une nouvelle ère. »

Je hochai la tête même si je n’avais aucune idée de ce qu’il entendait par nouvelle ère.

En découvrant leur Roi sous ses traits humains, tous changèrent d’apparence, comme si le dress code était obligatoire. Stolas fit émerger une longue chevelure blonde attachée dans un catogan, et un visage qui, je m’en doutais, devait donner des bouffées de chaleur à Élise. Paimon retira son masque, secoua ses cheveux en faisant tomber quelques insectes, puis grimpa sur son siège en se curant le nez. Baël remplaça sa tête dans une rotation brusque qui me fit froid dans le dos, mais conserva son corps de crocodile. Astaroth avança en vérifiant les boutons de son gilet, puis coiffa sa moustache de dandy en prenant place.

La métamorphose d’Amon fut la plus impressionnante. La maigre masse de fumée noire se transforma en un dieu égyptien antique, à l’apparence aussi attrayante que sa personnalité était abjecte. Devant son siège, il souleva son pagne pour s’asseoir, et n’oublia pas de me faire un clin d’œil lubrique au passage. Ce gros dégueulasse au physique de bodybuilder était le seul à ne pas être castré, et il voulait me le rappeler. Je mimai un haut-le-cœur en réponse.

Lucifer entra ensuite. D’un geste gracile, il dégagea ses longs cheveux en arrière. Je n’avais pas remarqué qu’il revêtait le même costume oriental que dans la plaine, avec la chemise croisée sous une veste de kimono. Il s’assit à la gauche du Roi. Lucifer, par son incomparable beauté et un port de tête royal, sortait du lot. Il n’y avait qu’à les regarder tous pour deviner lequel était le prétendant au trône sans risquer de se tromper.  

Belzebuth entra en dernier. Dans un nuage de fumée, il échangea son immonde visage de bouc par sa mâchoire carrée surplombée d’une touffe grasse de cheveux auburn. Il portait un costume noir au-dessus d’un col roulé gris. Il tira sur sa veste à plusieurs reprises, et fit craquer ses phalanges. Il paraissait nerveux. Sa chaise grinça sur le sol devant moi. Il replaça une mèche rebelle et releva lentement la tête pour faire face à Lucifer.

Quand il leva un regard noir vers moi, je me tassai contre le Roi. Niveau humeur, me voir ainsi aux côtés de son monarque venait de battre des records. Si des yeux pouvaient blesser, je me trouvais en pleine séance de torture.

« Chers membres du Conseil, Perse a accepté de prendre sa place auprès de la porte », déclara le Roi d’une voix imposante.

Belzebuth agrippa un de ses accoudoirs.

« Cependant, son accord est soumis à conditions. Si vous votez en sa faveur, vous votez également pour la levée du bannissement d’Azazel, pour la libération des Babyloniens et, sur un registre plus administratif, pour son transfert au quartier général.

— Mais la porte se trouve en Érèbe, intervint Astaroth, perplexe. Sa gestion en revient au Commandement. Cela a toujours été.

— Cela va changer, rectifia-t-il, implacable. Perse passera sous ma responsabilité. Je tiens à préciser que si la majorité l’emporte, j’ajouterai un onzième siège à ce Conseil pour elle. »

Belzebuth se décomposa. Ses prunelles s’éclairèrent de rouge, et la fureur se lisait sur son visage. Il fit de son mieux pour se contenir et ne pas céder à ses pulsions. Si nous avions été seuls, il m’aurait sautée à la gorge.

« Chers membres du Conseil, passons au vote », annonça le Roi.

La table en pierre grise se para alors d’une grande plaque noire miroitante, et devant chaque membre, un cercle lumineux apparut. Celui de Belzebuth vira au rouge en moins de temps qu’il ne fallut pour le dire, suivi de près par celui d’Astaroth.

Évidemment. Il était son lieutenant. Comment avais-je pu songer qu’il voterait en ma faveur ?

Le rond devant Paimon devint vert. Elle m’adressa un sourire que je lui rendis, le cœur empli de gratitude. Je savais qu’à ce moment, nous pensions toutes les deux à Asmodeus et Vassago, au moment où nous allions leur annoncer que leur punition avait pris fin, qu’ils étaient libres. Baël valida son vote dans la foulée.

Deux contre deux.

Astaroth et Stolas échangèrent un regard. Je commençai à stresser. Stolas n’appréciait pas les Babyloniens, et voter en ma faveur n’allait pas dans son sens sur ce sujet. Étais-je allée trop loin en demandant leur libération ? Allait-il voter contre moi à cause de ça ? Le rond devant lui devint vert. Je soufflai.

Amon semblait hésiter. Il se pencha vers Quatre et lui murmura quelque chose. Le rond devant Quatre s’éteignit. Il venait de s’abstenir. Amon sourit et, contre toute attente, vota en ma faveur. Les yeux de Belzebuth s’écarquillèrent autant que les miens. Qu’est-ce qu’il avait en tête ? Que croyait-il ? Que voter pour moi allait me faire accepter sa proposition d’alliance ? Il avait vraiment une case en moins pour oser l’imaginer.

Puis, juste devant le Roi, le rond de Lucifer passa au vert, clôturant ainsi le vote. Cinq contre deux. Ma victoire était rutilante. La rage de Belzebuth l’était tout autant.

« Le Conseil a voté, déclara le Roi sans perdre de temps. Belzebuth, Quatre, vous êtes déchargés d’elle. Je prends la relève. Perse ? »

D’un geste de la main, il m’indiqua le siège libre à côté de Stolas, au bout de la table. Je hochai la tête et rejoignis ma nouvelle place de membre du Conseil des Enfers.

Belzebuth serra les dents à se les broyer. Des veines se gonflèrent sur sa gorge. Il s’étranglait avec sa colère. Paimon, à ma droite, glissa sa main sous la table et entrelaça nos doigts en souriant.

« Le Conseil compte un nouveau membre, le confinement de Babylone est levé, et la porte retrouve un intendant. Nous sommes si peu soumis au changement qu’il me semble que tout cela doit être annoncé en grande pompe. Stolas, pourrais-tu nous organiser une célébration digne de ce nom ? 

— Ce sera avec grand plaisir, mon Roi. Un bal demain soir vous conviendrait-il ?

— C’est parfait. Que tous les Enfers soient conviés. C’est un moment historique. Dès le lendemain, nous procéderons à la cérémonie d’ouverture de la porte. Belzebuth, Stolas, Paimon, Baël, tenez-vous prêts. Il est hors de question de nous laisser submerger comme en quarante-cinq. 

— Oui, mon Roi », firent-ils en chœur.

Les sièges grincèrent. Paimon lâcha ma main et m’enlaça avant de quitter la salle du Conseil. Je me levai, mais restai près de ma place, attendant qu’ils sortent pour m’entretenir à nouveau avec le Roi en tête à tête. Il le comprit et vint me rejoindre dès que la porte fut refermée.

« Et maintenant ? demandai-je, un peu nerveuse.

— Tu peux retourner dans tes appartements. Ne t’inquiète pas, en tant que onzième membre du Conseil des Enfers, tu ne risques rien. Prends le temps de réfléchir à un plan pour remettre les choses en ordre en interne.

— Je pourrais tuer Belzebuth… »

Le Roi esquissa un sourire amusé.

« N’allons pas jusqu’à cet extrême, veux-tu ? Je suis sûr qu’il existe une autre solution. Bon. Je dois retourner au QG. Repose-toi. Choisis-toi une tenue de Reine pour le bal. Il faut les éblouir, dit-il avec un clin d’œil complice. Des traqueurs viendront t’avertir quand il sera temps. En tant que membre du Conseil, tu peux désormais comprendre leur langage. Va, maintenant. Nous nous verrons au bal.

— D’accord… alors, au revoir, heu… mon Roi. 

— Quand nous sommes seuls, tu peux m’appeler Samaël. Nous allons faire de grandes choses ensemble. »

J’étirai un sourire gêné. Il avait confiance en moi, mais je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il était en train de miser sur le mauvais cheval.

Devant la porte, un mauvais pressentiment m’assaillit. Si j’étais à la place de Belzebuth, j’attendrais derrière cette porte, tel un écolier attend son souffre-douleur préféré.

« Vous pourriez faire un passage jusqu’à ma chambre ? En un… heu… zioup zioup, fis-je en mimant un mouvement rotatif de la main. 

— Aurais-tu peur de rentrer seule, sans Quatre à tes côtés désormais ?

— Merci d’ailleurs, de l’avoir envoyé pour me protéger. Sans lui, je serai morte il y a longtemps. » 

Il fronça les sourcils.

« Il y a erreur, Perse. Je n’ai jamais fait une telle chose. Comment aurais-je pu ? Je n’avais aucune idée que Belzebuth en avait après toi. Si j’avais su, je serais intervenu moi-même pour l’en empêcher. »

Sa réplique me souffla.

Ainsi, Quatre n’avait pas veillé sur moi pour répondre à un ordre. Il l’avait fait de son propre chef, et ce, contre les instructions de son maître. Quelque chose de bien plus fort que de la simple reconnaissance s’alluma en moi.

Dans ma chambre, les rideaux du baldaquin étaient tirés. Le lit ressemblait à une grosse boite de velours rouge sang. Intriguée, j’en fis prudemment le tour. Il y avait quelque chose à l’intérieur. Quelqu’un. Un bruit de respiration étouffée me parvint. Sur le rideau en face de la commode était épinglé un mot. Je le lus sans en croire mes yeux.

Ma très chère Perse, voici un cadeau qui, j’espère, te fournira matière à réfléchir sur ma proposition. Sois à moi. Je peux t’apporter bien plus que tu n’es capable de l’imaginer. En attendant ta réponse, profite de mon cadeau. Je le rends demain. Vous avez jusqu’au matin. Soyez sages.
Signé : Amon

Le papier n’était pas encore tombé au sol que j’ouvrais les rideaux comme si ma vie en dépendait. Sur le lit, Quil était bâillonné, mains et pieds liés. Il poussa un hurlement étouffé en me voyant. Mon cœur bondit dans ma poitrine. Sans perdre de temps, je me ruai vers la commode pour m’emparer d’une épingle tranchante et limer la corde.

Je m’assis près de lui pendant qu’il retirait son bâillon. Il prit une grande inspiration.

Mon cœur battait la chamade. Je n’arrivais pas à croire qu’il était là, vivant, en face de moi, et sans ses lunettes de soleil. Ses yeux étaient noirs. Abyssaux. Comment avait fait Amon pour le ramener jusqu’ici, ça, c’était un mystère dont je me fichais de connaître la réponse. Quil était là, auprès de moi.

« Est-ce que ça va ? demandai-je.

— Oui, je crois. Où suis-je ?

— Dans les… Heu… Dans ma chambre, me rattrapai-je. Mais ce n’est pas important. Tu vas bien, c’est tout qui compte. »

Quil fronça les sourcils et regarda autour de lui.

« Je ne sais pas comment je me suis retrouvé là, préparé comme pour un sacrifice. Je me suis couché dans mon lit et je me suis réveillé ici. Pourquoi ? »

L’image choisie me fit sourire.

« Je… Je ne sais pas quoi te dire. Amon, un… gars… t’a amené auprès de moi en guise de cadeau.

— Je suis un cadeau ? » pouffa Quil.

Le voir rire malgré la situation fut comme une flèche de soulagement en pleine poitrine. Il était si mignon, avec son menton en pointe sur son visage en forme de cœur, ses joues creusées, cet adorable nez droit, ses cheveux bruns ondulés qui encadraient son front haut, et ses yeux… ses yeux… Je laissai échapper un soupir.

« Oui, heu… Je ne sais pas pourquoi il fait ça. Enfin, si : il attend quelque chose de moi, mais… Je sais pas. Il a dû se dire que te ramener me ferait changer d’avis. »

Quil se rapprocha. Ses yeux m’observaient avec une envie qui faisait écho à la mienne.

« Et tu comptes changer d’avis ?

— Oh non ! répliquai-je un peu trop vivement. C’est hors de question. Ce mec est taré ! »

Il posa une main derrière moi et se pencha, rapprochant son visage du mien. Mon cœur se pressa contre mes côtes alors que son regard effectuait des allers-retours entre mes yeux et mes lèvres. Moi aussi, je brûlais d’envie de l’embrasser. Depuis ce jour, dans cette ruelle, j’avais maintes fois rêvé de le revoir et de l’embrasser à mon tour. Juste pour qu’il sache qu’il me plaisait plus que je ne serais jamais capable de lui avouer.

« Si tu refuses, est-ce qu’il va me ramener chez moi ? demanda-t-il en se penchant un peu plus.

— Non. Le message disait jusqu’au matin, murmurai-je en me rapprochant à mon tour, aimantée par lui et ses lèvres fines au goût de pêche.

— Donc quoi que tu décides, je reste un cadeau, susurra-t-il.

— Oui, soufflai-je, trop excitée pour sortir plus qu’une syllabe.

— Cela me semble plutôt sympa, et altruiste, de sa part. Ce serait si mal d’accepter sa proposition ? » 

J’eus un mouvement de recul. Quil ne pouvait pas savoir qui était Amon et quelle était sa requête, mais comment pouvait-il plaider la cause de quelqu’un qui l’avait kidnappé ?

« As-tu dit jusqu’au matin ? demanda-t-il en glissant sa main le long de ma nuque.

— Oui… »

Il avait un regard perçant, et des yeux aussi étincelants qu’un ciel étoilé sans nuages. Dire que j’avais dû attendre d’être aux Enfers pour voir ses yeux… Il se mordit la lèvre et mes organes se liquéfièrent.

« Toute la nuit donc, dit-il en tirant sur ma nuque pour m’amener auprès de lui.

— Toute la nuit… » répétai-je, le souffle court, alors que ses lèvres se pressaient enfin sur les miennes.

Son baiser n’avait pas le même goût de pêche que dans la ruelle, mais il était moins brusque, plus doux, plus… charnel. Je ne saurais dire si c’était le lieu chargé en parfum orientaux, la douceur de la soie sous nos doigts, ou le fait que l’on soit seuls, sans personne pour nous déranger, mais il était évident qu’un courant électrique passait entre nous. J’enfouis mes doigts dans ses cheveux ondulés, savourant chaque seconde que l’assistant du Diable voudrait bien m’accorder avec Quil.

Il caressa mon bras, et je basculai sur le lit sans m’en rendre compte, suivant le mouvement initié par ce gars bien plus sensuel que dans mes souvenirs. Il m’allongea et se plaça au-dessus de moi sans cesser de m’embrasser. Sa bouche était chaude et affamée, chargée d’un désir presque animal. Je dus décaler ma tête pour reprendre ma respiration. Il glissa sa main sous mon haut, puis la retira et la regarda, interloqué.

Il murmura alors au creux de mon oreille, ses lèvres effleurant à peine ma peau de son souffle :

« Ta peau est brûlante.

— Ex… Excuse-moi », bafouillai-je.

Merde. Ce n’était vraiment pas le moment pour que je me transforme en être de lave ! Non, non, hors de question. Que ces menottes fassent leur putain de travail pour que je puisse… peut-être… avec Quil…

« Ne t’excuse pas, ça me plaît de te sentir chaude comme ça. »

Son regard brillait d’une intensité que je ne lui connaissais pas, et qui ne fit qu’accentuer mon excitation.  D’un geste habile, il défit l’attache sur ma nuque et fit glisser mon haut par-dessus ma tête. Il se saisit de mes seins et les prit en bouche. Je ne pus me retenir de gémir. Puis il descendit du lit et se débarrassa de mon pantalon d’un seul mouvement.

Il se mordit la lèvre avec désir en me regardant. Il enleva son tee-shirt et le jeta à terre. Mes yeux papillotèrent. Ses muscles étaient secs mais bien présents, dans une colonne abdominale inattendue. Il me saisit alors par les jambes et me tira jusqu’au bord du lit. Lorsqu’il colla son entrejambe contre le mien, je déglutis. Malgré le jean épais, je sentais parfaitement qu’il bandait. Et pas qu’un peu.

Quil m’avait surprise en se montrant autoritaire parfois, mais là, c’était différent. Il était entreprenant, sûr de lui, et tellement sexy que j’avais du mal à penser normalement. J’avais envie de lui. Terriblement envie.

Pourtant, quelque chose clochait. Cela ne lui ressemblait pas. Je ne le connaissais pas assez, je le savais, mais quand même. Dans la ruelle, quand il m’avait embrassée, il avait été maladroit. Comment pouvait-il passer du maigrichon taciturne à un homme aussi sexuel ?

Quand il se pencha, je tendis mon bras entre nous comme une barrière.

« Attends… » soufflai-je, tentant de reprendre mes esprits.

Il posa ma main sur son torse pour que je sente son cœur battre. Il vit que je me perdais en réflexion et sourit. Un sourire qui n’était pas le sien.

Quil ne souriait jamais. De ça, j’en étais certaine.

Mon cœur se mit à accélérer, mon souffle se fit court. Je voulus me dégager, mais il enfonça ses ongles dans mes hanches pour me garder contre lui. J’étouffai un gémissement de douleur qui ne fit qu’augmenter son sourire. Quand il se pencha sur ma poitrine pour la lécher, je vis une épaisse cicatrice courir le long de la colonne vertébrale. Mon sang se figea d’horreur.

« DÉGAGE ! »

Je repoussai sa tête et lui assénai des coups de pied et de poings dans tous les sens. Dans ma panique, je n’arrivais pas à me coordonner. Celui qui se cachait sous la peau de Quil souriait en évitant chacun de mes coups. Il se fit un chemin entre deux gifles, écarta brusquement mes jambes, et s’allongea de tout son poids sur moi. Mon corps se figea. J’étais coincée. S’il avait l’apparence de Quil, il n’avait en revanche pas son poids.

Les larmes me montèrent aux yeux et j’étouffai, mais je continuai à me débattre, à donner des coups. Mais il était trop proche, trop lourd, c’était… futile. Et plus je me débattais, plus je sentais que ça l’excitait. Il bandait et s’amusait à presser son sexe contre le mien par à-coups, de plus en plus fort. J’en avais la nausée.

Quand sa main se glissa entre mes cuisses, je hurlai un nom comme on invoque un démon. D’un cri rauque, venant du plus profond de mes entrailles. Un nom… Le seul dont j’étais certaine qu’il répondrait à mon appel… 

Trois secondes plus tard, la fenêtre s’ouvrit avec fracas, les rideaux volèrent, et le sol fut pulvérisé par les serres de Quatre. Quil se releva sans me lâcher les cuisses. Son visage se fendit d’un sourire aux dents longues, jaunes et pointues du monstre qui se dissimulait sous cette apparence. Quatre marcha lentement vers nous, mettant une emphase intense sur chacun de ses pas.

« T’es un putain d’empêcheur de baiser en rond. Ça ne m’étonne pas de toi. »

Quatre se rapprocha. Je continuai de me débattre, mais Quil balayait chacun de mes coups sans même me regarder.

« C’est quoi cette tête, Quatre ? Que se passe-t-il, serais-tu jaloux ? Bon, j’avoue, j’ai utilisé ton… »

D’un coup de griffe, Quatre trancha le visage de Quil. Tel un store vénitien dont on incline les lamelles pour laisser entrer la lumière, la figure enfumée d’Amon apparut entre les lambeaux de peau. Je hurlai, vidant l’air de mes poumons.

J’aurais dû savoir. J’aurais dû comprendre que tout cela ne pouvait être qu’un piège ! Amon connaissait mon attirance pour Quil, et il avait utilisé cette information pour me faire tomber dans son traquenard.

« Ooooooh, me voilà démasqué, maugréa Amon, amusé. Et bien, tu ne dis rien ? …Aurais-tu perdu ta langue ? »

Quatre se jeta sur Amon et lui arracha un bras. Enfin libre, je me réfugiai au milieu du lit et remontai le drap sur moi. J’étais pétrifiée d’horreur, incapable de détourner les yeux. Amon riait alors que des lambeaux de peau humaine volaient. Puis Quatre attrapa le corps fumeux d’Amon et l’étrangla. Amon cessa de rire et commença à se débattre. Ses cris se muèrent en glougloutements étouffés. Quatre le lâcha une seconde pour le récupérer par la tête. Ses serres se refermaient autour de son crâne. Ses yeux jaunes se révulsèrent. Puis il l’écrasa contre le mur, encore, et encore. Comme Belzebuth avec moi, Quatre martelait la tête d’Amon sans répit.

Ma mâchoire se décrocha d’horreur et mes joues ruisselèrent de larmes. Quatre lui brisa le crâne, puis un immonde bruit juteux se mit à ponctuer les coups contre le mur détrempé de sang noir. Je détournai les yeux. Je serrai les paupières, et plaquai mes mains sur les oreilles. Il était en train d’en faire de la bouillie. Je remontai mes jambes contre mon torse, dans une boule imperméable au carnage. Un haut de cœur me secoua le corps, tandis que des frissons grimpaient le long de mon dos en vagues nauséeuses.

Quand le bruit cessa, j’ouvris les yeux. Les épaules de Quatre se soulevaient au rythme de sa respiration rapide. Ses ailes se redressèrent et il marcha en direction de la fenêtre. Lorsqu’il passa près du lit, je tendis le bras et attrapai une griffe au bout de ses ailes. Il s’arrêta net.

Je ne voulais pas être seule. Je ne voulais pas qu’il me laisse ici, seule, avec les restes d’Amon.

Il se retourna et se rapprocha du lit. Mes jambes étaient fébriles. Je me mis à genoux en tremblant, et fis glisser mes mains jusqu’à sa nuque où je m’accrochai. Mon cœur battant à tout rompre se posa contre son torse alors que j’enfouissais ma tête sous ses cheveux, à la recherche de son cou où cacher mes larmes et ma honte. Quatre demeura immobile jusqu’à ce que je l’implore.

« Ne me laisse pas là… Emmène-moi avec toi… Je t’en supplie… Ne me laisse pas là… » 

Il se pencha pour attraper le drap qu’il remonta sur mon corps nu, puis passa une main dans mon dos et sous mes jambes pour me porter. Je resserrai mon étreinte quand il escalada le rebord de la fenêtre et bascula dans le vide. Il plongea, puis abattit ses ailes et entra dans un appartement en dessous.

Quatre me déposa délicatement sur un lit, mais je me refusais de le lâcher. Je resserrai mes bras autour de sa nuque, et il resta un moment à attendre sans comprendre. Je tremblais, en état de choc. Finalement, il se redressa avec moi dans les bras, et grimpa sur le lit. Les ressorts grincèrent. Il s’assit en tailleur et m’installa sur ses jambes. Il retira ses mains, puis ses ailes se refermèrent autour de moi, dans un cocon sombre et étonnamment reposant.

Lovée contre lui, ma respiration s’apaisa peu à peu. Dans cette obscurité, je pus ouvrir à nouveau les yeux. Mon cœur, en bout de course, finit lui aussi par se calmer. Mes bras se détendirent et je les laissai tomber. Quatre cambra le dos en sentant mes mains passer sur ses reins avant de reposer sur les draps. Je pressai mon visage contre son torse pour écouter les battements lents et réguliers de son cœur.

Et dans cette position fœtale, emmurée dans l’obscurité de ses ailes, à l’abri, je pleurai. Quatre soupira, et je sentis la pointe de son menton se poser sur mon crâne. À force de pleurs, mon corps finit par se relâcher, et je sombrai dans un sommeil d’épuisement nerveux.