Armé d’un saladier débordant de pop-corn, Azazel se posa entre nous sur le canapé et remua des fesses pour se faire une place.
« Tu le connais par cœur, soupira Sasha.
— Je ne m’en lasse pas. Allez Trinity[1], lance le reportage ! »
Un plateau de journal télévisé s’afficha sur l’écran. Le présentateur, en costume bleu et blanc, ramassait son tas de feuilles en fixant la caméra. Il portait une croix dorée autour du cou et un pin’s en forme de Q sur le col de sa veste.
Bonjour à tous, et bienvenue dans ce numéro spécial. C’est une réalité plus sournoise que les épidémies et plus dangereuse que les attaques terroristes, mais elle est rarement évoquée et encore moins prise au sérieux par le gouvernement. Cette réalité, c’est la présence des forces du mal sur terre.
Mon coude ripa de l’accoudoir.
« C’est le bulletin d’information de la chaîne nationale ?
— Non, c’est une chaîne chrétienne évangélique, répondit Sasha, mais ce reportage-là a été partagé en masse sur les réseaux sociaux. Tout le monde l’a vu. On l’a téléchargé pour le jour où… tu reviendrais. »
Ces deux dernières années, le pays a été secoué par deux phénomènes étranges qui sont apparus graduellement, au premier abord sans aucun lien visible entre eux. Il faudra attendre une vidéo amateur fortuite pour faire enfin la lumière sur leur lien. Mais avant de prendre ce sujet d’importance capitale, retour sur ces deux phénomènes.
Le présentateur laissa la place à un reportage dans un hôpital. Les médecins portaient des tabliers sur leurs blouses, des masques, des gants, et des visières de protection par-dessus une cagoule. Cela ressemblait à un film d’horreur sur les épidémies.
Dans les hôpitaux, les médecins alertent sur l’apparition d’une maladie inconnue, aux effets foudroyants. On recense au total une centaine de cas, principalement des jeunes gens mineurs.
Le décès d’un individu contaminé intervient dans le temps record de sept jours, et ce, dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas. Selon les rapports d’imagerie médicale, les organes se recouvrent d’une substance. Les cellules fusionnent, se transformant en une seule et même masse. Au bout de cinq à six jours, la masse entre en tension. La pression ne pouvant être supportée par le corps, celui-ci explose.
Nous vous rappelons que la maladie, bien que mortelle, n’a fait état d’aucun cas de contagion à ce jour. Néanmoins, la population doit rester sur ses gardes et avertir les autorités dès qu’elle constate des symptômes sur un individu.
Les symptômes les plus visibles sont la présence d’un liquide noir au niveau du globe oculaire, et qui se répand sous la peau. Les veines autour des yeux gonflent légèrement et se teintent de violet. Les analyses de cette substance n’ont eu, jusqu’à aujourd’hui, aucune conclusion valide.
Les recherches stagnent, malgré la découverte du patient zéro, une septuagénaire qui a séjourné au service des maladies infectieuses, avant de s’enfuir sans laisser de trace. Nous sommes toujours à sa recherche. Si vous avez des informations concernant madame Roberta Custodis, merci de téléphoner au numéro qui s’affiche à l’écran.
À l’évocation de son nom, des larmes coulèrent sur mes joues. Sasha prit ma main pour me témoigner son soutien. Ma grand-mère, Roberta, n’avait souffert d’aucune maladie inconnue. Je savais parfaitement ce qu’il lui était arrivé, à elle, et tous ces pauvres gens : ils avaient été infectés par un démon.
D’un autre côté, les autorités font état d’attaques terroristes, durant la nuit, allant de la dégradation de matériel et de bâtiments, aux meurtres d’une barbarie inégalée. À ce jour, le nombre de ces attaques approche la centaine. Elles ne semblent pas avoir de cible, et sont aussi silencieuses que dévastatrices. Face à elles, les forces de police sont démunies.
Je me crispai. La vidéo montrait des trottoirs pulvérisés, et des pans de mur arrachés. J’y vis une empreinte de patte, et de griffe. Les démons avaient quitté leur hôte et s’étaient enfuis, semant la destruction sur leur passage.
Au tout début, ces « attaques » se comptent sur les doigts d’une main. Lorsque celles-ci se multiplient, le gouvernement déclare l’état d’urgence pour contrer ce qu’il qualifie de menace terroriste. Plusieurs partis conservateurs exigent que la population soit mise au courant des dangers qui pèsent sur le territoire. Ils exigent plus de transparence de la part du gouvernement, quitte à employer la force, comme lors du rassemblement du parti fédéral qui a tourné à l’émeute. Cet affrontement sanglant s’est soldé par deux morts et plusieurs blessés, dont…
« Avance, c’est pas le plus important, intervient Azazel. Pour te faire un résumé rapide, une troupe de gars armés est entrée dans le bâtiment et a tiré au pif. Hommes, blancs et cathos. Le combo gagnant des suprémacistes à la noix. Gras du bide, aussi. Je précise juste pour que tu en aies une bonne image mentale. Tu te rappelles les crétins de l’attaque du Capitole avec leurs strings en fourrure ? Bah, même genre de connard, sauf que niveau costume, ils sont beaucoup moins fun. »
Sasha appuya sur le bouton d’avance rapide. Les images défilèrent à vive allure. Elles montraient des mouvements de foule, des policiers en armure, des pancartes aux énoncés plus haineux les uns que les autres, des drapeaux nazis, pour finir par des chars d’assaut en plein milieu du boulevard.
Je secouai la tête, la bouche béante de stupéfaction. Ça ne pouvait pas être réel.
« Bla bla bla, la terre plate, les hommes lézards, les cailloux qui brillent, l’amicale des cannibales, on nous ment, vive les blancs, bla bla. Ah ! C’est là ! »
Le présentateur à nouveau à l’écran, Sasha appuya sur pause.
« En gros, reprit Azazel en se tournant vers moi, ça fait deux ans qu’ils nous rabâchent les oreilles avec des délires comme quoi le gouvernement, l’état profond comme ils l’appellent, dissimulerait un rassemblement de pédo-satanistes qui cherchent à sucer le sang de leurs victimes pour atteindre l’immortalité. Ce serait à cause d’eux que cette infection mortelle serait arrivée. Ça, puis ce fut la faute de l’immigration, de l’islam, des noirs et des Asiatiques – toute origine confondue – puis de la 5G qui fait péter les vaches, du Diable, et j’en passe. Le seul truc qui soit profond, c’est le niveau de leur connerie. Et là, dans ce qui suit, c’est l’apothéose.
— De quoi, du conspirationnisme ?
— Ils sachent, dit-il avec emphase, un rictus incontrôlable en coin.
— Et ils savent quoi ?
— Que les démons existent et que ce sont les méchants ados gothiques qui les invoquent depuis le fond du sous-sol de la maison de leurs parents. »
Il fut ravi de son effet. Les muscles de mon visage furent parcourus de spasmes.
« HEIN ?! » finis-je par lâcher, complètement ahurie.
Sasha leva les yeux au ciel. Azazel s’empara de la télécommande et rappuya sur lecture.
Un personnage pour le moins atypique prend alors le devant de la scène : Kevin B. aussi appelé Azeltov. Star des réseaux sociaux, Azeltov profite de cette vague de peur pour mettre en ligne une vidéo voulant, à la base, démystifier certaines théories, ou, selon ses propres mots, pour « voir si tout ça, c’est du fake ».
La vidéo, originellement diffusée en live avant d’être publiée sur toutes les plateformes de réseaux sociaux, est devenue virale. C’est cette vidéo, qui a permis de faire enfin le lien entre les attaques soi-disant terroristes et cette infection mortelle, en mettant au grand jour la preuve irréfutable de l’existence des démons.
Les coudes sur les genoux, la tête posée sur mes poings, je m’avançai pour n’en rater aucune miette.
Le présentateur laissa place à la vidéo du fameux Kevin. Elle était de mauvaise qualité, filmée dans son sous-sol, avec un groupe de jeunes à peine sortis de l’adolescence. Ils portaient des capes à capuches et se tenaient en cercle. L’un d’eux déballa une planche de Ouija, et un code promotionnel s’afficha à l’écran, accompagné du hashtag #OuijaChallenge. C’était d’un ridicule sans nom. Un des jeunes prit place face à la caméra, une bougie allumée sous son visage pour donner une ambiance apeurante.
« Salut les explorateurs du surnaturel ! Ce soir on va invoquer des démons, du genre Satan et tout. Des forces démoniaques. On va demander si c’est eux qui causent tous ces morts. Un virus qui rend fou ou des vrais démons ? La réponse en fin de vidéo ! Ce soir, on va utiliser des récits latins, des trucs qui datent du moyen-âge, genre ça fait trop peur, les gens ils osent pas y toucher mais comme on n’est plus au moyen-âge et qu’y a plus de sorcières, de loups-garous et d’autres trucs comme ça, je me suis dit, on va voir si tout ça c’est du fake. Comme d’habitude, soutiens-moi : abonne-toi, commente, like et partage. C’est parti ! »
Azazel mit sur pause, et guetta ma réaction.
« Vous n’êtes pas sérieux ? C’est un gamin.
— Un gamin qui se trouve être le petit-fils d’un docteur en théologie qui a écrit, avec un confrère historien, un livre sur les représentations des entités démoniaques au moyen-âge. Beau travail, mais c’est pas le sujet. Le papy, dans ses recherches, a trouvé un bouquin qui n’aurait jamais dû se retrouver entre des mains humaines. Jamais. Il l’a vite compris après avoir lu le premier chapitre, alors il l’a gardé caché. Devine qui est tombé sur cette relique venue tout droit des Enfers ? demanda-t-il avec un sourire accroché aux oreilles. Le petit Kevin !
— Et c’est quoi ce bouquin ?
— Un catalogue de commande de démons. Ce petit con ne lit pas le latin, alors il n’a rien pité au chapitre d’introduction qui servait de mise en garde. Il s’est contenté de lire, à voix haute, une des invocations. »
Je fixais Azazel, incrédule. Soit je me trouvais dans un mauvais rêve, soit mon portail m’avait transportée dans une réalité alternative.
Je connaissais bien ce catalogue, je l’avais eu entre les mains. J’avais aidé Asmodeus à remplir des commandes de démons, sans trop penser à qui les invoquait, ni ce qui leur arrivaient ensuite. L’espace d’un instant, une forme de culpabilité s’empara de moi. Je n’en avais rempli que quelques-unes, mais les résultats de celles-ci s’étaient répercutés dans mon monde.
« Est-ce que tu vas sérieusement m’annoncer qu’il a fait une invocation en live ? »
Azazel sourit et relança la vidéo.
Les gamins se regroupèrent autour de la planche de Ouija, puis posèrent chacun un doigt sur la flèche. La suite de la vidéo n’était qu’un montage de leurs réactions. Ils se faisaient des blagues, poussaient la flèche, et faisaient semblant d’entendre des bruits étranges. Je levai les yeux au ciel plusieurs fois. Ce n’était que des gosses qui cherchaient à se faire peur.
Puis la vidéo enchaîna sur une autre scène. Les adolescents dessinèrent un cercle à craie sur le sol, avec un pentagramme en son centre, puis posèrent des bougies noires à chaque pointe de l’étoile à cinq branches. Kevin était le seul à porter une cape rouge. Face caméra, sa bougie sous le nez, il expliqua rapidement la procédure : appeler Satan, lui faire cadeau de son sang et demander quelque chose en échange. L’un d’eux hurla qu’il désirait la dernière console de jeu et tous rirent à gorge déployée.
Kevin démarra l’incantation, le livre de son grand-père entre les mains. Il se trancha la paume avec un couteau à steak, puis fit couler quelques gouttes au centre du pentagramme en demandant d’obtenir les pouvoirs de Satan. Je me cognai le front. Les démons entraient par les plaies.
Pourtant, il ne se passa rien. Un de ses amis fit de même, et demanda d’avoir une petite-amie qui tomberait amoureuse de lui et qui ne le quitterait pas pour un autre plus beau. Je ne pus m’empêcher de trouver ça triste. Pauvre gosse. Lorsqu’il fit couler son sang sur le pentagramme, la flamme des bougies s’éleva, et une masse de chair apparut au centre.
J’en écarquillais les yeux d’horreur. Ça avait fonctionné.
« Rappelle-toi qu’ils ne peuvent pas le voir », précisa Azazel.
La masse se mouva, rampa d’un bord à l’autre, puis se liquéfia. La tache d’huile se jeta sur l’adolescent, s’enroula autour de ses doigts, et se glissa dans la plaie. Il se releva, les yeux noirs, des veines violettes sur les pommettes et les tempes. Il était comme figé. Autour de lui, ce fut la panique. Ses amis hurlaient en jurant. Ils gesticulaient dans tous les sens, tentaient de le secouer, de lui parler, mais il ne leur répondit pas. L’un d’eux s’empara d’une bible et le gifla si fort avec qu’il tomba par terre. Kevin coupa la vidéo à ce moment.
« Qu’est-ce qu’il s’est passé ensuite ? demandai-je dans un souffle, les yeux ronds comme des billes.
— Ce débile a scanné la relique et l’a posté. C’est le PDF le plus viral de tous les temps, cracha Azazel en se retenant tant bien que mal d’exploser de rire. Le hashtag #OuijaChallenge était en tête de recherche sur tous les réseaux sociaux, la vente de planches a atteint des sommets, et tout le monde s’est mis à invoquer des démons. Ça a fait pété les cols des conspirationnistes qui en ont profité pour valider toutes leurs théories fumeuses sur les sataniques. Pour une fois qu’ils tombent juste, rigola-t-il. Autant te dire que depuis, ils ne se sentent plus pisser.
— Je parlais du garçon infecté.
— Ah. Oui, heu… ça, c’est moins drôle. Sept jours après la vidéo, le démon a terminé son incubation et a quitté son hôte. Le gosse en est mort, et le démon s’est enfui.
— C’est arrivé quand, ça ?
— À peu près un an après ta disparition, continua Sasha avec plus de sérieux. Suite à cette vidéo, le nombre de personnes infectées a atteint un pic. Tous des ados qui suivaient la chaîne d’Azeltov, ou des personnes de leur entourage proche. Il n’en a pas fallu plus pour que les conspirationnistes de tous bords établissent un lien. Ils ont placé la courbe des cas d’infections et celle des attaques nocturnes sur un même graphique pour mettre en avant la corrélation.
— Ils en ont même fait des tee-shirts pour appuyer leur propagande, ajouta Azazel.
— Entre la hausse des cas d’infection, les attaques nocturnes, la montée de l’extrême droite et la recrudescence d’enlèvements, le gouvernement a capitulé. Ne sachant pas comment gérer tout ça en même temps, l’état d’urgence a été déclaré. Puis le couvre-feu à été instauré pour essayer de maintenir un semblant d’ordre et éviter les pertes civiles. Ensuite le pays a ordonné, comme mesure sanitaire, de fermer les frontières. Enfin, souffla-t-elle, quelques semaines plus tard, ce fut au tour de la loi martiale. L’armée a été appelée pour renforcer les rangs de la GRC et des polices provinciales, et des divisions d’opérations spéciales ont été créées.
— Pour lutter contre les démons ?
— Pas officiellement. Le discours du gouvernement s’en tient au terrorisme et à la menace à l’intérieur du territoire. Ils essaient de limiter les agissements des milices, mais ils sont dépassés. La police reçoit des quantités d’appels concernant des disparitions. À chaque fois, c’est le même profil : adolescent, habillé en noir, style gothique ou métal. Azeltov a ouvert la porte à une vague de haine sur tous les styles alternatifs. Dans les établissements scolaires, l’uniforme a été rétabli. Dans la rue, c’est le combo jean et tee-shirt blanc qui est devenu l’uniforme.
— Avec la petite croix dorée offerte par ces connards en personne. Ils les distribuent comme des capotes devant une clinique d’avortement. Grande classe.
— Tout ça à cause d’une vidéo filmée dans une cave par des gamins ?
— La peur a rendu les gens complètement fous. Tu n’imagines pas comment c’était avant cette vidéo. L’armée estimait que nous faisions face à une attaque terroriste de grande ampleur, avec des moyens inédits. Et on peut les comprendre : des gens étaient retrouvés massacrés au petit matin, broyés.
— Mâchés, rectifia Azazel. Ou piétinés, tout dépend du démon.
— Sans compter les services hospitaliers qui alertaient sur une possible épidémie. Les gens ne savaient plus où donner de la tête ni qui craindre. Cette vidéo leur a fourni un ennemi visible, une raison logique à tout ça. Depuis, il y a une prolifération de groupes religieux de tous bords. Chrétiens, principalement. L’un d’eux, bien placé au niveau politique, s’est allié aux conspirationnistes que tu as vus plus tôt dans le reportage.
— Des enfoirés, cracha Azazel. Au début, ils partageaient des tracts avec tout un paragraphe sur les sataniques, à côté d’un sur les reptiliens. C’était assez drôle, tant qu’ils restaient inoffensifs. Ce n’est plus le cas. Ces cons-là sont partout, de l’épicier du coin au député bien installé dans les sondages. Ils sont armés, dangereux, et complètement pétés de la tronche. Ils se font appeler l’Ordre de la Sainte Révélation. Ils sonnent aux portes pour partager leur bonne parole. Leur phrase d’accroche est un verset de l’Apocalypse. »
Je me raidis. Ils avaient sonné en fin d’après-midi. Je les avais pris pour des évangélistes perdus dans le mauvais quartier.
« On les soupçonne d’enlever des jeunes pour les soumettre à des exorcismes qui n’ont rien à voir avec les pratiques de l’Église actuelles. Ils font dans le moyenâgeux, ajouta Azazel. Dans le sale et le sordide.
— Ma mère a mis sur pied une division spéciale pour les surveiller, car ils deviennent hors de contrôle.
— Tu fais partie de cette division ?
— Non, elle est plus politique qu’autre chose, car ils se heurtent à l’alinéa 2 b sur la liberté de religion de la Charte canadienne des droits et libertés. À cause de lui, l’Ordre de la Saint Révélation est inattaquable. Les libéraux planchent sur un texte de loi censé limiter leur montée au pouvoir en passant outre cet alinéa. Mais les conservateurs s’obstinent à proclamer que sans lui, le Canada deviendrait un pays totalitaire. Cette division essaie de trouver de la matière à ce texte. C’est clairement de l’espionnage. Moi je me suis engagée dans celle qui s’occupe des démons.
— … Pardon ?
— Les gars que tu as vu tout à l’heure sont dans la même division que moi. On patrouille la nuit pour débusquer les démons et les éliminer.
— Attends. Y’a un truc que je ne comprends pas. Je croyais que seul le contact avec leur sang permettait de les voir, interrogeai-je Azazel. Qu’est-ce qu’il s’est passé pour que l’armée se lance dans la chasse aux démons ?
— La technologie nous a dépassés, dit-il en haussant les épaules. Ils sont détectables avec des lunettes militaires top sophistiquées. Un modèle qui avait été créé à la base pour identifier les porteurs de bombes. Ils leur ont trouvé une autre utilité. »
Mon corps s’enfonça un peu plus dans le canapé. Je n’arrivais pas à croire que mon monde avait changé à ce point.
Trois ans.
Il n’avait fallu que trois ans et une vidéo stupide sur internet pour que les gens basculent dans un délire religieux, et s’arment pour combattre une menace invisible, bien que réelle.
« J’aurais dû rester dans les Enfers, soupirai-je. Finalement, ce n’était pas si mal…
— Tu nous racontes ? demanda Azazel, la bouche pleine de pop-corn. C’est bien beau, on parle de nous et on regarde des vidéos sympas, mais qu’est-ce qu’il s’est passé pour toi là-bas ? Et comment t’as fait pour rentrer ?
— Je… »
Je savais que je ne devais pas comparer, pourtant je ne pouvais pas m’en empêcher. Je ne pouvais plus dire que j’avais vécu l’horreur. Pas après avoir entendu tout ça. Mais je ne pouvais pas non plus diminuer les choses, et passer sous silence les tortures de Belzebuth ou l’agression d’Amon.
Je ne savais plus quoi faire, quoi dire, quoi penser. Je me sentais honteusement égoïste.
« Je… »
Un bruit sourd résonna à l’étage.
« C’est quoi, ça ? demandèrent Sasha et Aza en chœur.
— C’est rien », mentis-je en me précipitant vers les escaliers.
[1] Héroïne de Matrix