Dans un roman, les dialogues sont les formes les plus directes d’action, de mise en évidence des rapports entre les personnages, de leur caractère, et j’en passe. Ils ponctuent les descriptions et rythment le récit, à condition que le lecteur soit capable de les suivre…
Comment ça, « soit capable de les suivre ? »
Eh bien, lors d’une convention de jeux, j’ai rencontré un auteur autoédité aussi passionnant que passionné. Il m’a pitché son histoire avec brio au point de m’en faire lever les poils des bras, m’a raconté ses aventures dans le monde de l’autoédition d’Amazon, ainsi que toutes les phases de son écriture, de la première idée à la réécriture. Nous avons échangé joyeusement pendant une bonne heure, j’ai pris son (ses) livre(s), je l’ai ouvert et… j’ai vu au premier regard qu’il s’agissait d’une autoédition, dans le sens « c’est moi que je l’ai fait tout seul ».
Et qu’est-ce que j’ai fait ? Malgré ce pitch intense et prenant ? J’ai reposé son livre sur l’étal.
Je suis peut-être une connasse rigide, soit. Mais la mise en forme du texte est ce qui va rythmer ma lecture, c’est la chose sur laquelle mes yeux accrochent et coulent tout au loin du texte. Là, ça a juste accroché.
Un alinéa de paragraphe en tabulation, des numéros de pages à droite qui se perdent dans la pliure du livre, des chapitres qui commencent sur la page de gauche, une page 1 numérotée, un manque d’aération, mais surtout : des dialogues incompréhensibles qui m’ont fait saigné les yeux.
Ça m’a donné envie d’écrire un billet sur les dialogues. Et sur ce point, je suis une fervente partisane du formatage classique c’est-à-dire avec des guillemets.
Des dialogues avec du rythme, c’est un combat d’épéistes en musique
Les dialogues ne servent pas qu’à faire parler des personnages. Ils leur donnent une voix, une personnalité, un ton propre (ou sale, selon le personnage). C’est le moment de leur donner la place du narrateur, de leur faire raconter votre histoire avec leurs mots.
Un bon dialogue sert l’histoire ou le personnage.
S’il est juste là pour dire « salut », préférez une phrase classique de « il me salua » ou whatever, mais « salut, ça va », c’est non. On s’en cogne, ça ne fait rien avancer, sauf si le personnage était muet depuis le début de l’histoire et que sa seule réplique est destinée à l’élu.e de son cœur.
Ainsi, le personnage qui parle fait avancer l’action, révèle des informations cruciales, et montre quelle relation iel entretient avec un.e autre personnage.
(Notez la bonne utilisation de ce nouveau pronom neutre qui fait ma joie, car enfin je peux dire d’un bébé qu’iel est magnifique sans me prendre dans la gueule « mais c’est une fille/un garçon, voyons ! »)
Les dialogues sont donc constitués de répliques ET d’incises qui se battent en duel dans l’espace délimité des guillemets.
Au passage, pour faire ressortir le rythme, on n’abusera pas du verbe dire dans les incises. Je vous renvoie à l’utilisation des verbes de parole dans cet article : Jongler avec les verbes de parole, dans lequel vous attend des fiches PDF pratiques quand on a un coup de mou.
Il a dit, il a dit, certes, mais il a aussi insisté, rétorqué, argumenté, avant de s’énerver, de beugler et de conclure avec dédain. Ou, comme Bella, le personnage soupire à chaque réplique (ah la jeunesse éperdue !).
Le dogme de l’Église du Guillemet à Chevrons
Même si de plus en plus d’auteurs modernes utilisent les tirets, pour moi qui apprécie la littérature classique, les tirets, c’est caca.
Chaque fois que j’y ai été confrontée, il m’a fallu un moment d’adaptation et une maîtrise impeccable de l’auteur pour que j’arrive à suivre les dialogues sans me perdre. (Ou alors c’est dû à un déficit neuronal de ma part, maybe, mais j’assume mon côté frigide du tiret.)
La règle classique est simple :
- Ouvrir les guillemets au début du dialogue,
- Mettre un tiret cadratin en tête de chaque nouvelle réplique,
- Fermer les guillemets à la fin du dialogue.
La seule complication survient lorsque les incises sont trop longues, ou suffisamment indépendantes du dialogue pour pouvoir faire partie intégrante de la narration. Dans ces cas, on peut les laisser entre les virgules (même si l’incise est longue), les mettre entre parenthèses (mais c’est peu courant et pas très joli à mon avis), ou fermer la réplique d’un guillemet pour leur donner une place plus importante à la ligne et éviter une confusion avec la narration.
L’important est que cela reste clair et fluide.
Pour ce qui est des tirets cadratins, c’est Ctrl + Alt + — (du pavé numérique) ou Alt + 0150, mais pas le tiret du 6. (Oubliez le tiret du 6. Et ne pensez même pas aux tirets des liste de Word, c’est niet).
Incises et ponctuation
Déjà, qu’est-ce qu’une incise ?
Une incise est une « proposition généralement de peu d’étendue et syntaxiquement indépendante, intercalée entre virgules dans le corps de la phrase ou rejetée à la fin de celle-ci, utilisée pour indiquer que l’on rapporte les paroles ou les pensées de quelqu’un ou pour introduire diverses nuances (supposition, opinion, explication, interrogation) ». [Définition du CNRTL]
Elle se positionne donc à l’extérieur de la réplique, soit après une virgule, soit après un guillemet fermant.
Concernant la ponctuation, si les virgules doivent être à l’extérieur des guillemets (« Salut », dit-il), les autres signes qui font partie du dialogue restent internes (« Non ! » cria-t-il). Et j’en profite pour rappeler que les incises n’ont pas de majuscule même si elles suivent un guillemet fermant. (« Et oui », rappela-t-elle.)
J’avoue, ça peut vite être le bordel, comme dans cet exemple de la BtB :
- Il clôture la séance en posant la question « serez-vous prêts ? ».
- A-t-il vraiment posé la question « serez-vous prêts ? » ?
Accrochez-vous. Ça le mérite.
Citations et ponctuation
Si votre personnage, à la verve bien salée, souhaite citer quelque chose au bout milieu de sa réplique, on utilisera les guillemets anglais (“ ”) pour guillemeter dans les guillemets (l’inception du guillemet, quoi). C’est ce qu’on appelle la citation interne.
En revanche, s’il cite une œuvre, c’est en italique. Comme Le Beau Danube bleu de Strauss ou Twilight (chacun ses références).
Les conseils du Maître
Vous avez encore du mal à rédiger vos dialogues ? Suivez les conseils de l’expert Lionel Davoust, aka « Grand Prêtre Missionnaire de l’Église du Guillemet à Chevrons ».
Des méandres des conseils d’écriture de l’internet, de tous les blogueurs narratifs, ses articles sont les plus clairs à ce sujet. Lisez et apprenez.
- Apprenons à ponctuer des dialogues (1) : mise en place
- Apprenons à ponctuer des dialogues (2) : le formatage classique
- Apprenons à ponctuer des dialogues (3) : le formatage moderne
Avec supplément : Formatage des dialogues : ce que les guillemets permettent et que les tirets interdisent